Le cuirassé Potemkine

mardi 30 décembre 2008

Le cuirassé Potemkine - PosterБроненосец Потёмкин
Sergueï Eisenstein, 1925

Pitch : le film raconte la mutinerie des marins du cuirassé Potemkine en 1905 dans la Mer Noire, au large de la ville d'Odessa. Réalisé 20 ans après les faits qu'il relate, Le cuirassé Potemkine a été commandé à Eisentsein par le régime soviétique dans le but de célébrer cet évènement glorieux de la révolution anti-tsariste.




Résumer ce film revient à lister les 5 tableaux, de longueur à peu près égale, qui le constituent :
  1. la protestation des marins quant à la nourriture avariée qu'on leur sert
  2. la révolte proprement dite et la mort de Vakoulintchouk leader des mutins
  3. la veillée mortuaire de Vakoulintchouk
  4. le massacre des civils par l'armée tsariste sur le grand escalier d'Odessa
  5. le ralliement à la mutinerie de l'escadron de marine censé arrêter le Potemkine
Bon, ça y est, après en avoir entendu parler mille fois, je peux enfin cocher la case "Cuirassé Potemkine" dans la liste des films qu'il "faut" avoir vus avant de mourir. Ce film est souvent décrit comme un monument de l'Histoire du Cinéma Mondial (majuscule à tous les mots s'il vous plaît) et apparaît régulièrement dans tous les classements des 10, 20 ou 100 meilleurs films de tous les temps (36e du top 100 du tout récent classement des Cahiers du Cinéma par exemple). Très bien, très bien.

Le cuirassé PotemkineJe dois avouer que je me suis quelque peu ennuyé devant ce cinéma de propagande. Ces innombrables séquences de fiers marins, nobles et lyriques, menant à bien cette héroïque mutinerie (qui a pour origine une bête histoire de nourriture, il faut le souligner) ne sont tout de même pas très passionnantes. Tout cela est bien pompier, bien lourd et bien manichéen. Les gentils marins sont très gentils, les méchants officiers sont très méchants. Toute nuance serait hors-sujet. Et je ne vous parle pas des intertitres, aussi subtils que des discours militaires.

Contrairement aux films historiques actuels qui décrivent un grand évènement par la lorgnette de destins individuels (Pearl Harbor, Il faut sauver le soldat Ryan), Eisenstein prend ici le parti de s'intéresser à un acte de groupe plutôt qu'à des personnages. En dehors de Vakoulintchouk qui meurt bien vite, aucun personnage ne se détache. Pourquoi pas après tout. Je pense que cet effacement de l'individu sur le collectif (comme on dit en football) était conforme à la volonté du régime soviétique qui a commandé ce film. La contrepartie de ce parti-pris est que, je l'avoue, j'ai eu du mal à m'intéresser à cette histoire. Tout cela manque cruellement pour moi d'humanité. Mais passons.

Le cuirassé Potemkine est principalement encensé pour ses images fortes et une science du montage révolutionnaire pour l'époque. Alors, oui c'est vrai que la fameuse séquence du massacre sur les escaliers d'Odessa est assez impressionnante, avec son montage haché, ses gros plans expressionnistes sur des visages terrorisés et ses plans larges sur l'armée blanche qui fauche, telle une moissonneuse-batteuse, les civils en fuite. Cela ne m'a pas bouleversé pour autant. En revanche, j'ai été amusé par ces plans légèrement tendancieux de marins qui s'embrassent virilement, plans sur lesquels s'enchaînent des images de fiers canons qui se dressent vers le ciel. Hum hum. Mais ça, je ne l'ai lu nulle part, j'ai peut-être l'esprit mal tourné.

Le cuirassé PotemkineLa fameuse séquence du massacre sur les escaliers d'Odessa

Je n'ai en revanche pas une connaissance suffisante des techniques du cinéma pour pouvoir apprécier la virtuosité du montage. Sans doute était-ce révolutionnaire pour l'époque, je n'en sais rien. Mais pour moi, qui n'ait que 25 ans de cinéma derrière moi (et 10 ans de cinéphilie seulement), faudrait-il que je connaisse toute l'histoire du cinéma et de ses techniques pour pouvoir apprécier Le cuirassé Potemkine ? Si la réponse est oui, alors pour moi ce film ne peut pas être un grand film mais uniquement un grand film temporel (par opposition à intemporel hein) ou, pire encore, un chef d'œuvre auto-entretenu, c'est-à-dire un des ces films qu'on montre depuis toujours dans les écoles de cinéma et qu'il est impossible de ne pas aimer sous peine de perdre ses galons de cinéphile (et moi je me perds un peu dans cette phrase à rallonge).

Le cuirassé PotemkineBref, tout cela me fait un peu penser à un autre exemple de Monument du Cinéma Mondial : quand je déclare à un cinéphile que je trouve Citizen Kane très moyen (avec cette insupportable voix-off nasillarde : au secours !), mon interlocuteur me répond en général "Tu peux pas dire ça ! Orson Welles a tout inventé dans ce film : la plongée, la contre-plongée etc etc". Peut-être, mais ça ne suffit pas, non ? Qui peut me dire que Le Chanteur de Jazz (que je n'ai pas vu) est un grand film sous le prétexte que c'est le premier film parlant ? Qui sait quel est le premier film en Technicolor et s'il était bien ? Et le tout premier film narratif, L'arroseur arrosé, est-ce que c'est vraiment un bon film ou quoi ? Tous ces films-progrès sont intéressants, instructifs, mais ne deviennent pas de facto des bons films, de ceux qui font vibrer et vivre.

Mais je suis peut-être un peu sévère. Le cuirassé Potemkine pourrait bien faire partie de ces films qui ne procurent pas de plaisir immédiat mais qui marquent l'esprit et influencent bien plus que ce que l'on peut imaginer. Par exemple, Crash de David Cronenberg ou Elephant de Gus Van Sant rentrent pour moi dans cette catégorie. J'attendrai donc quelques années avant de porter un jugement définitif sur Броненосец Потёмкин.

Du côté d'Orouët

lundi 29 décembre 2008

Du côté d'Orouët - Jacques RozierJacques Rozier, 1969

Pitch : Joëlle (Danièle Croisy), Karine (Françoise Guégan) et Caroline (Caroline Cartier) sont 3 jeunes filles qui passent leurs vacances dans une villa de bord de mer, du côté des longues plages de St-Gilles-Croix-de-Vie. Les jours s'égrènent joyeusement, entre baignades, bronzage, pêche à la crevette et ballades à vélo du côté de la petite ville d'Orouët. L'insouciance est reine. Les filles sont rejointes par Gilbert (Bernard Menez), qui est à la ville le chef de service de Joëlle et qui s'incruste petit à petit dans cette joyeuse communauté. Les filles semblent accepter Gilbert mais en font vite leur souffre-douleur, abusant de sa gentillesse, se moquant de sa maladresse. Lui s'en accommode car il est amoureux de Joëlle - bien qu'elle le rejette. Plus tard, un playboy, un vrai avec un beau voilier, va venir se mêler à ce petit groupe et jouer les beaux parleurs auprès des filles, au grand désespoir de Gilbert. Les vacances vont alors prendre un tour plus grave.

Bon, on résume : des jeunes filles en fleur, des vacances, une grande maison ouverte que vient caresser les vagues ... difficile pour moi de ne pas aimer un film avec un tel pitch. Servi en outre par de très belles images et des actrices époustouflantes, Du côté d'Orouët est un vrai choc. Visuel, sensuel et émotionnel. Un film dont la liberté de ton n'a d'égale que la justesse de l'analyse psychologique. Même après 4 visions (en autant de journées !), j'ai encore du mal à comprendre pourquoi ce film est un tel chef d'oeuvre, pourquoi c'est le plus beau film vu depuis des lustres et assurément mon film de l'année 2008. Essayons toutefois de poser quelques éléments.

Du côté d'Orouët - Danièle CroisyAu tout premier abord, on note un certain nombre de similitudes formelles avec les films estivaux d'Eric Rohmer que j'aime tant (Conte d'été, Pauline à la plage, Le genou de Claire, qui sont tous les trois parmi mes préférés). Le récit est ponctué par des intertitres qui précisent la date. Le contexte et les personnages importent plus que l'action, qui est quasiment inexistante. Mais à la différence de Rohmer, nous ne sommes pas, formellement, dans une austère contemplation de nos héroïnes. Ici, les cadrages sont serrés, les plans assez courts, le montage rapide et sûr. De plus, il ne s'agit pas exactement de marivaudage. Les dialogues peu littéraires et très réalistes ne traitent pas des passions amoureuses mais plutôt des préoccupations futiles et terre-à-terre de ces jeunes filles : qu'est-ce qu'on mange ? qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? c'est quoi ton régime minceur ?


En fait, ce film décrit tout simplement la vie, avec une justesse qui en devient troublante. En particulier, ce film témoigne d'un vrai amour pour la gente féminine. Tout ce qui différencie généralement les filles des garçons (l'absence de concurrence, la légèreté et la vivacité naturelles, l'espièglerie) est racontée dans ce film avec une telle acuité qu'on ne peut qu'être profondément touché. Toutes ces scènes (dont mes préférés sont la traversée sur le bateau du passeur, la bassine d'anguilles renversée, la lecture de la lettre de Gilbert, l'arrivée au "Casino d'Orouëëëët !"), bref, toutes les scènes du film sont certes vivantes et réalistes mais elles sont filmés avec un vrai talent de cinéaste, un vrai sens de la narration et un vrai point de vue d'auteur qui font qu'on ne tombe jamais dans les travers du documentaire ou du naturalisme.

Du côté d'OrouëtLes vacances !

Du côté d'Orouët est un des films de vacances les plus réussis que je connaisse. Jacques Rozier "capte" des moments et sait rendre avec beaucoup de justesse cette atmosphère de doux abandon de soi, où les rencontres impossibles en temps normal deviennent possibles ("c'est permis, c'est les vacances", nous dit la sagesse populaire), où chaque moment mérite d'être saisi car il est unique, où rien n'est grave, où le temps n'est plus compté de manière habituelle et paraît même se dilater.

Du côté d'Orouët - Caroline CartierA l'image de nos jolies vacancières, Du côté d'Orouët est en effet un film qui prend son temps (2h30). En étirant toutes ces scènes de vie, en laissant vivre ses personnages, Jacques Rozier leur donne beaucoup d'épaisseur. Au début, on ne distingue pas vraiment ces trois filles les unes des autres : on ne voit que trois furies, espiègles, hystériques, vivantes et dont les fous rires sont si communicatifs. Je crois d'ailleurs que j'ai passé la première heure du film avec un grand sourire scotché sur le visage (quel autre film peut en dire autant ?), charmé par la malice de ces filles, riant aux même blagues idiotes qu'elles. Au fur et à mesure que l'histoire avance, nos trois héroïnes, ainsi que Bernard Menez, prennent du relief et de la gravité. Karine est l'extravertie : légère, drôle, vivace et douée d'une répartie époustouflante qui cache une envie maladive de séduire. Joëlle est la rohmérienne de la bande, à la diction un peu irréelle, complexée par ses kilos en trop, un peu en retrait mais animée d'une envie incroyable de rire et de vivre. Et Caroline (Caroline Cartier, souvenez-vous, c'est aussi la vampire nue du film La Vampire Nue justement, de Jean Rollin) paraît la plus équilibrée, la plus naturelle, accommodante, gentille et nonchalante mais qui versera subitement une larme lors du départ précipité de Bernard Menez.

Du côté d'Orouët - Caroline CartierL'insouciance laisse en effet place à la mélancolie vers la fin du film, ce qui permet d'affranchir Jacques Rozier de toute suspicion de naïveté béate. Le film en devient encore plus bouleversant. J'ai été particulièrement ému par la tirade finale de Gilbert / Bernard Menez, dont il faut d'ailleurs souligner l'incroyable performance, pour son tout premier film, dans un rôle peu évident de souffre-douleur enthousiaste doublé d'un amoureux transi. Je suis d'ailleurs prêt à me battre et à descendre dans la rue pour qu'on reconnaisse enfin tout le talent de Bernard Menez, enfermé de manière totalement injuste dans une image de bouffon abonné aux pires navets et aux chansons pourries. Bernard Menez est tout simplement un immense acteur, d'une subtilité et d'une sensibilité rarissimes. Qu'on se le dise. Bref, vers la fin, lassé qu'on se moque de lui et qu'on abuse de sa gentillesse, et cédant à un rare coup de sang (la seule scène violente du film : il casse deux assiettes !), Gilbert confie son amertume à Karine avec une humanité qui donne les larmes aux yeux. Il finit par quitter les lieux. Apprenant son départ, Caroline se met inexplicablement à pleurer et murmure "C'est la fin des vacances".

Du côté d'Orouët - Bernard Menez - Françoise GuéganBernard Menez finit par vider son sac et avouer son amertume.

Oui, Jacques Rozier souligne ainsi la fin d'une certaine utopie hippie, celle de Mai 68, et le retour à la dure réalité de la nature humaine et de la société contemporaine. En ce sens, et par bien d'autres aspects (la longueur du film, l'étirement des séquences, la liberté narrative, l'absence totale d'"action"), Du côté d'Orouët est très proche du chef-d'œuvre désenchanté de cette époque : La Maman et la Putain de Jean Eustache, autre cinéaste en marge de la Nouvelle Vague et revenu des idéaux soixante-huitards.

Je me relis et me rends compte que ce que j'écris n'effleure qu'une infime partie des innombrables richesses de ce film. Je n'ai pas évoqué les jeux de couleurs avec les costumes des filles, la composition magistrale des plans qui utilisent si bien les différents étages de la villa, l'étonnante scène où Karine parle à la caméra, la construction ahurissante de la séquence où Bernard Menez court après les filles qui courent après le ballon, la scène de la sortie en en dériveur (la scène de bateau à voile la plus belle, et la plus réaliste, que j'ai jamais vue) etc etc .... et tant d'autres émotions fortes, difficiles à comprendre et à décrire, que la vision de ce film suscite. On pourrait écrire des volumes entiers sur Du côté d'Orouët.

Mais comme dit Bernard Menez dans un supplément du DVD (édité récemment aux éditions Potemkine, dans un indispensable coffret), les histoires de Jacques Rozier sont inénarrables. Il faut les voir. Amis lecteurs, courez, courez donc vous procurer ce film, profitez de ces heures de bonheur ensoleillé et laissez-vous envoûter par la beauté gracile de ce film incomparable. Allez, vous aussi, vous échapper du côté d'Orouët.

Et quelques images de plus ...

Du côté d'Orouët - Caroline Cartier - Françoise Guégan - Danièle CroisyL'arrivée des filles sur le bateau du passeur. De gauche à droite : Caroline, Karine et Joëlle.


Du côté d'OrouëtRoméo et ses deux Juliettes dans un plan admirablement composé.


Du côté d'Orouët - Danièle CroisyDes jeux de regards de moins en moins innocents : le début de la jalousie, la fin des vacances.


Du côté d'Orouët - Caroline Cartier - Françoise Guégan - Danièle CroisyLes adorables Caroline, Karine et Joëlle en T-Shirt jaune, sous une serviette jaune, devant une cabine jaune.

Astérix aux Jeux Olympiques

vendredi 26 décembre 2008

Frédéric Forestier et Thomas Langmann, 2008

Pitch : Astérix, Obélix et toute une troupe de gaulois partent en Grèce participer au Jeux Olympiques. Pendant ce temps, Brutus, fils de César, rêve de devenir calife à la place du calife et d'épouser une belle princesse grecque. Tout se termine par un banquet auquel sont conviés plein de people.

En deux terribles heures, Astérix aux Jeux Olympiques a remporté la médaille d'or du plus mauvais film que j'ai jamais vu. Ce trophée personnel était pourtant détenu depuis 10 ans par l'épouvantable Batman & Robin de Joël Schumacher (décidément, entre Harald et Michael, ce nom est maudit). Mais là, il n'y a vraiment aucun besoin de départager ces deux concurrents, Astérix aux Jeux Olympiques va largement plus loin dans l'horreur.

De l'excellent scénario original, celui de la BD, plein de rebondissements et de malice comme souvent dans les épisodes d'Astérix écrits par René Goscinny, les scénaristes d'Astérix aux Jeux Olympiques n'ont presque rien retenu. Tout ce qui est conservé est le cadre (les JO) dans lequel s'accumulent des sketches affligeants et de pseudo-morceaux de bravoure. Il n'y a pas la moindre volonté de raconter une histoire.

OK, allons-y donc pour un film à sketch. Pourquoi pas. Mais on est tout de suite effaré par la nullité crasse des dialogues et les gags qui tombent à plat. Le film en devient curieux : les chutes des blagues sont parfois tellement pourries qu'on a l'impression que les scènes ont été écourtées au montage. Les décors, qui se veulent grandioses (le stade olympique notamment), donnent l'impression d'être en carton et sont d'une laideur étonnante. Les effets spéciaux à la françaises m'ont rappelé les pires moments des Visiteurs dans le genre "Attention, regardez-bien, il va y avoir un trucage numérique !". Dieu que c'est moche.

Quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi l'infâme Clovis Cornillac fronce les sourcils pendant tout le film ? Se croit-il drôle, proche de la BD ou même bon acteur ?

La distribution est atroce. Clovis Cornillac me donne des envies de meurtre. Combien de navets faudra-t-il qu'il enchaîne, combien de rôles faudra-t-il qu'il massacre pour qu'on reconnaisse enfin la vérité, à savoir que c'est un des plus mauvais acteurs de tous les temps ? En plus d'être exécrable, j'ai l'impression que Clovis Cornillac a une très haute opinion de lui-même. Avec son côté gouailleur à 2 francs 10, Il doit s'imaginer être à lui seul la réincarnation actuelle de Jean Gabin, Michel Simon et Gérard Philippe. Sortez-le, vite !

Benoit Poelvoorde fait ce qu'il peut avec les consternants dialogues qu'on lui sert. Je pense sérieusement que sa performance dans Astérix aux JO ne doit pas l'aider en ce moment à sortir de sa dépression. Alain Delon réussit bien son coup en essayant de se rendre insupportable : il l'est de bout en bout. En voyant l'excellent, le superbe, le flamboyant Gérard Dépardieu perdu dans cette débâcle, le sentiment qui vient est la pitié. Que fait notre bon vieux Gégé dans cette galère ? A-t-il perdu toute clairvoyance ?

En fait voilà, j'ai l'impression que tout le monde qui a travaillé sur ce film a perdu toute clairvoyance. Au bout d'un certain temps, le sentiment qui domine chez moi n'est plus de l'énervement face à un navet, mais plutôt de la stupeur. Comment peut-on en arriver là ? N'y avait-il donc pas un chef d'orchestre pour éviter un tel naufrage ? Le problème vient-il de la concentration des métiers de producteur, réalisateur et scénariste au sein d'une seule personne, Thomas Langmann, qui aurait été dépassé par un projet (et un budget) d'une telle ampleur ?

Le seul plan intéressant du film

Essayons de lister tous les défauts possibles d'un film. Alors, un film peut être mal écrit, mal filmé, moche, prétentieux, mal interprété, ennuyeux ou encore vulgaire. Et bien, Astérix aux JO réussit le tour de force de réunir TOUS ces défauts. Cette performance unique à mes yeux en fait peut-être sa seule qualité.

La clé de tout ce maëlstrom se trouve peut-être à la fin. Le film se termine en effet par un étonnant banquet où défilent Tony Parker, Zinédine Zidane ou encore Amélie Mauresmo. Ils font chacun leur petit numéro de ballon qui semble tout droit sorti d'une pub Nike. Ils sont d'ailleurs filmés sur une terrasse, en dehors de la scène même du banquet, et il n'y a pas le moindre embryon de tentative d'intégrer ces plans avec le reste de l'histoire. A ce moment-là, on se rend compte que l'on n'est plus en train de regarder un film, qu'il s'agit d'autre chose, d'un méta-objet qui mélange tout avec la plus grande vulgarité et un mépris hallucinant du spectateur. Ce qui est montré en salles n'est qu'un objet commercial parmi d'autres (produits dérivés, DVD, passages TV, BDs) et après tout personne n'a jamais décrété qu'il fallait que cet objet soit du cinéma.

Astérix aux Jeux Olympiques est réussi dans le sens où il est en phase avec une époque où notre président explique en conférence de presse qu'avec sa copine chanteuse "c'est du serieux", avec une époque où une des chefs de l'opposition fait des one-man shows mystiques, avec une époque où le Garde des Sceaux expose sa grossesse dans la presse comme Demi Moore en son temps, bref avec une époque où le mélange des genres, la vulgarité, le nivellement par le bas et la guerre ouverte à toute forme d'intelligence ont droit de cité.

Au secours !

Bout du Tunnel

mardi 16 décembre 2008

Allez, dans 15 jours c'est la quille, ciao les flonflons. On va bientôt pouvoir démarrer une nouvelle année pleine de nouveaux espoirs. Cette joyeuse perspective me donne envie de faire partager 3 titres que j'ai du écouter à peu près 147 fois depuis une semaine et qui vont nous accompagner jusqu'en 2009.

Plus MinusJames, Chris & Patrick de +/-
+/-, ou dit Plus Minus, en plus d'être un vrai casse-tête pour les moteurs de recherche, est un trio pop très prometteur qui vient de Brooklyn. J'ai instantanément accroché sur ce titre, Snowblind qui est à la fois léger et signifiant, à la fois gai et triste. Ça démarre tout doucement et le changement de tempo, tant attendu, qui intervient vers 1'48, est absolument imparable. Ensuite, ça prend de l'ampleur progressivement, le rythme s'accélère, les guitares se superposent jusqu'aux chœurs "Oouuuuh ! ouh ouh ouh ouh !" à 3'35. Très addictif, très réussi, ce titre est un bon candidat pour le titre de "perfection pop 2008".







+/- [Plus Minus] - Snwoblind

Fujiya & MiyagiJ'avais déjà posté un titre de Fujiya & Miyagi il y a quelques mois. Depuis, j'ai un peu plus exploré leur discographie et je suis tombé en arrêt devant ce Collarbone. Ca reste dans le même esprit, avec une basse bien funky, des 'poum tchak' qui claquent et cette manière de chanter si particulière, pleine d'onomatopées.

J'adore le son de guitare surf de la toute première seconde (il faut être bien attentif car on ne l'entend qu'une fois). Vraiment, l'air de rien, ces types sont des tueurs et je suis dégouté de les avoir ratés à Paris le 22 novembre dernier.








Fujiya & Miyagi - Collarbone




Passion PitLe buzz électro-pop du moment s'appelle Passion Pit. A l'écoute de Sleepyhead ci-dessous, je me dis que c'est largement mérité. Le rythme assez lent, les arrangements complexes et les voix très filtrées de cette chanson me rappellent beaucoup le tubesque Time To Pretend des MGMT. Même esprit, même efficacité.







Passion Pit - Sleepyhead

Pour illustrer ma comparaison, voici donc Time To Pretend, qui est pour moi, de loin, 15 jours avant l'heure, la meilleure chanson de 2008. Je suis fan, fan, fan des "I said, yeah yeah yeah !" qui arrivent à 4 minutes et qui concluent si bien ce titre.







MGMT - Time To Pretend

Two Lovers

lundi 15 décembre 2008

Two Lovers - James Gray - PosterJames Gray, 2008

Pitch : Leonard (Joaquin Phoenix) se remet mal de sa rupture avec son ex-fiancée et retourne habiter à Brooklyn chez ses parents, juifs polonais. Un peu rêveur, plutôt dépressif et très maladroit, Leonard essaie de reconstruire sa vie et prend un petit travail dans le magasin de son père. Pour le meilleur et pour le pire, sa vie va se pimenter lorsqu'il va faire la rencontre de deux filles. Ses parents lui présentent tout d'abord Sandra, une fille de leurs amis, juive également, et interprétée par la belle Vinessa Shaw. Gentille, douce, aimante, elle paraît être le perfect match. Mais, pour son malheur, Leonard va également se lier avec sa voisine Michelle (Gwyneth Paltrow). Belle, lunatique, plus grande que lui, Michelle est l'archétype de la fille paumée dont il est si facile de tomber amoureux et si difficile de se rendre compte qu'elle est aussi destructrice pour les autres qu'elle l'est pour elle-même.
Le film va donc traiter de l'hésitation de Leonard entre Michelle et Sandra, entre la blonde et la brune, entre le cœur et la raison, entre ce qu'il est et ce qu'il devrait être, bref, entre Racine et Corneille.

Two Lovers - Joaquin PhoenixPour moi qui suis de plus en plus attaché à l'image, j'ai tout d'abord été séduit par la beauté de Two Lovers : la photographie et la composition sont remarquables. Je pense particulièrement à ce plan où Joaquin Phoenix attend, au restaurant, assis seul au milieu d'une banquette en demi-cercle. La parfaite symétrie du cadre luxueux au milieu duquel Joaquin Phoenix est assis de travers illustre l'inadéquation entre ce personnage et le monde (enfin, ce monde : celui du luxe et de la superficialité). De manière plus générale, j'ai été frappé par la réalité physique du film : les images ont beau être superbes, elles ne sont pas enjolivées. Joaquin Phoenix porte pendant tout le film un anorak vert bien pourri qui paraît avoir vraiment 10 ans d'âge. Dans cet esprit "j'ancre le film dans la réalité", cet anorak me fait d'ailleurs penser au bonnet de Jim Carey dans Eternal Sushine of the Spotless Mind.

Two Lovers - Joaquin Phoenix - Gwyneth PaltrowJoaquin Phoenix et sa mauvaise parka. Gwyneth Paltrow et sa mauvaise peau.

De la même manière, Gwyneth Platrow nous est montrée sans fard ni maquillage. Dès les premiers plans où elle apparaît, on voit les défauts de sa peau, ses rides et ses cernes. James Gray nous signale ainsi tout de suite que Two Lovers n'est pas une comédie romantique proprette, mais pas non plus un documentaire : nous sommes ici en face d'un film qui suinte le réel, avec ce que le réel a de beau comme de dégueulasse.

Two Lovers - Joaquin Phoenix - Gwyneth Paltrow - DiscoEnfin une scène réussie de boîte de nuit

Pour rester dans cette idée de réalisme, j'ai été frappé par la scène qui se déroule en boîte de nuit. Les scènes de soirées au cinéma sont pour moi ratées 90% du temps : les personnages sont toujours sobres, ou alors complètement raides mais jamais entre les deux, l'éclairage toujours trop fort et le volume de la musique toujours trop bas. On voit souvent les protagonistes se parler comme s'ils étaient à la garden-party de l'Elysée, en faisant des belles phrases à un mètre l'un de l'autre. Quiconque a déjà mis le pied en boîte sait que ça ne se passe pas du tout comme ça. Là, dans Tow Lovers, James Gray a su formidablement rendre l'atmosphère particulière d'un tel endroit : réactions exacerbées (genre je suis euphorique et puis écoeuré au dernier degré la seconde d'après parce que je sens que cette fille m'échappe), vue hachée à cause de la lumière stroboscopique, dialogues se réduisant à des "quoi ?", "ok !" ou "j'vais chercher à boire dis-je !". J'avais d'ailleurs particulièrement apprécié les scènes de boîte dans l'excellent La Nuit nous appartient, le précédent film de James Gray.

Two Lovers - Joaquin Phoenix - Vinessa ShowEt l'histoire alors ? Eh bien, elle est remarquablement construite, sans surprise de la part de James Gray dirais-je, mais elle est aussi un peu déprimante. Si on se place du point de vue de Leonard (ce que j'ai fait), la première moitié du film est enthousiasmante car elle est porteuse d'espoir et de possibilités nouvelles. En revanche, la deuxième partie est synonyme de confrontation avec la dure réalité et de prises de décisions. La relation de Leonard avec la blonde Michelle tourne au vinaigre. De scène en scène, nous découvrons que cette fille est excessive en tout, souvent droguée, toujours fauchée, incapable de s'aimer. Aux déclarations enflammées de Leonard, elle répond "Tu ne m'aimerais pas si tu me connaissais". Lui s'accroche, persuadé d'avoir vu en elle quelqu'un de bien. Elle répond à peine à ses messages. Ce schéma archi-classique va jusqu'à la rupture : après avoir causé beaucoup de dégâts chez ce pauvre Leonard, Michelle retourne en fin de compte avec son ex et part habiter à l'autre bout des États-Unis. Fragilisé, écœuré, déçu, Leonard revient alors vers Sandra, la fille "comme il faut", de son milieu, recommandée par ses parents.

Happy end ? Pas vraiment selon moi. Two Lovers est du marivaudage à plus d'un titre. En effet, au-delà des jeux amoureux mettant en scène un garçon et deux filles, ce film se termine comme une pièce de Marivaux : à la fin, malgré les passions, chacun reste dans son milieu. Les maîtres avec les maîtres, les valets avec les valets. Dans Two Lovers, il n'y a plus de hiérarchie dans les classes mais le concept reste le même. Concept bien déprimant qui m'a laissé un goût amer en sortant de la salle, malgré toute la beauté du film.

Two Lovers - Isabella RosselliniLa toujours très chic Isabella Rossellini, ici dans le rôle de la mère de Joaquin Phoenix. Et je crois que j'ai oublié de mentionner que tout le casting est superbe dans ce film.

La Jetée

mercredi 10 décembre 2008

La Jetée - Chris Marker - Poster Chris Marker, 1962

Pitch : la 3e guerre mondiale a eu lieu et les habitants de la Terre ont presque tous été décimés. Dans les souterrains d'un Paris post-apocalyptique, vivent quelques survivants et parmi eux des scientifiques qui décident de faire voyager dans le temps des cobayes dans le but de ramener, du passé ou du futur, des informations et des secours. Après plusieurs tentatives, ils jettent leur dévolu sur un homme qui se prête bien à l'expérience car il revit en rêve une scène récurrente de son enfance : la vision d'une belle jeune femme et la mort d'un homme, tous les deux inconnus, sur la jetée de l'aéroport d'Orly, peu de temps avant la guerre. L'homme va donc faire de courts aller-retours présent-passé et va rencontrer cette femme, dans le Paris pré-apocalypse, avec laquelle il va avoir une histoire d'amour aussi platonique qu'intense.

Spoiler : Après de multiples voyages, l'homme acquiert ses galons de voyageur du temps et on lui offre la possibilité de voyager définitivement dans le futur, histoire de retrouver une civilisation reconstruite. Il refuse, décide de retrouver cette femme, revient dans le passé et se retrouve sur cette fameuse jetée, à Orly, au moment même où son souvenir d'enfance s'était forgé. Avant d'avoir pu rejoindre la femme, il est abattu par un voyageur du futur et s'écroule : en tombant, en mourant, il réalise que le souvenir récurrent de son enfance n'était rien d'autre que le spectacle de sa propre mort (incroyable n'est-ce pas ?).

Vous n'avez pas vu La Jetée et pourtant cette histoire vous dit quelque chose ? C'est normal. L'excellent film de Terry Gillian, L'Armée des 12 Singes, est un effet un remake enrichi du film de Chris Marker, Christian-François Bouche-Villeneuve de son vrai nom, habituellement réalisateur de documentaires engagés.

La Jetée - Davos Hanich - Hélène ChâtelainL'homme (Davos Hanich) et la femme (Hélène Châtelain)

Comme indiqué au générique, La Jetée est un "photo-roman" : en dehors d'une micro-séquence filmée (sur laquelle je reviendrai), le film a la forme d'une succession d'images fixes, sur laquelle se posent une très belle musique, la voix off glaciale d'un narrateur tierce ainsi que d'inintelligibles et furtifs dialogues en allemand (pourquoi en allemand ?).

Par sa forme, son fond, son format (le film dure 28 minutes à peine), La Jetée est un film absolument stupéfiant. Je ne comprends pas comment j'ai pu passer à côté de ce chef-d'œuvre pendant tant d'années - je l'ai regardé deux fois de suite tellement j'étais impressionné.

La Jetée - Hélène Châtelain - Vertigo - Kim NovakCe profil d'Hélène Châtelain m'a étrangement fait penser à ce plan de Kim Novak dans Vertigo

Il est étonnant de constater à quel point on peut, avec trois francs six sous (car il n'y pas le moindre effet spécial dans ce film), réaliser un film de science-fiction si prenant et si crédible. La superbe qualité des photos, les regards saisissants des acteurs (on sent une vraie influence expressionniste d'ailleurs) et, surtout, la force implacable du scénario, rendent La Jetée captivante de la première à la dernière minute. On sent assez fortement l'inspiration des romans d'anticipation de Barjavel, mais également de Vertigo d'Hitchcock - auquel Chris Marker fait une référence directe dans la scène du tronc de séquoïa qui indique l'écoulement du temps.

La jeune femme, jouée par Hélène Châtelain, est très troublante par sa beauté blonde, glaciale et mystérieuse (une autre référence à Hitchcock sans doute). Elle est au centre de la plus belle scène du film, la plus magique. Pendant un de ses voyages dans le passé, l'homme regarde la jeune femme dormir. Ainsi que dit plus haut, le film est une successions de photographies. Cette scène commence donc par une image fixe de cette jeune fille, appuyée sur son bras, endormie dans son lit. On voit une nouvelle image d'elle, une autre, encore une, et, de fil en aiguille, les images sont de plus en plus semblables, leur enchaînement est plus rapide, et puis, doucement, arrive le miracle : on voit la femme bouger légèrement, cligner des yeux dans son sommeil. Pendant de précieuses secondes, ce ne sont plus des photos que l'on voit mais des images animées. Un film, tout simplement. Toute la magie du cinéma, son mystère, sa force évocatrice, sont recréés le temps de cette séquence inoubliable. Chris Marker réinvente le cinéma à lui tout seul dans cette scène d'une beauté à vous tirer des larmes.

La Jetée - Hélène ChâtelainLa magnifique séquence de la femme endormie. A vous tirer des larmes dis-je.

Enfin, ce film est évidemment fascinant par les questions philosophiques qu'il soulève : le temps, la mort, l'image, l'enfance ... tout ça ... tout ça. Bon bon. Qu'en dire ? En première analyse, on comprend assez bien le sens induit par cette histoire d'enfant qui assiste à sa propre mort : cette idée forte, qui est aussi le twist final, représente probablement une forme de passage à l'âge adulte, par la révélation à l'enfant de sa condition de mortel. Au delà de ça, je pressens qu'il y a de bien profondes pensées qui sous-tendent ce film, et qui expliquent pourquoi il est aussi bouleversant, mais je manque hélas d'outils et de connaissances dans ces domaines pour pouvoir les exprimer et donc je botte en touche.

Bref, La Jetée est la plus belle histoire d'amour de science-fiction qu'il m'ait été donné de voir. Et il n'y a maintenant aucune excuse pour ne pas le regarder : il est disponible ici, en qualité correcte, gratuitement et légalement, et dure à peine plus longtemps qu'un épisode de Plus Belle La Vie et bien moins qu'un épisode des navrants Experts.

Pour finir, voici les plans de la dernière séquence, si émouvante et poignante.

La Jetée - Davos HanichLa Jetée - Hélène Châtelain
A Orly, l'homme a fini par retrouver la femme et court vers elle - qui ne l'a pas encore vu.

La Jetée - Davos HanichLa Jetée
L'homme arrive sur la fameuse jetée mais il n'a pas remarqué le tueur du futur sur la gauche.

La Jetée - Hélène ChâtelainLa Jetée - Davos Hanich
Elle voit enfin son homme. Trop tard ! Il est frappé en pleine course (le plus beau plan du film selon moi)

La Jetée - Hélène ChâtelainLa Jetée - Davos Hanich
Elle est horrifiée. Lui est effondré.

La Jetée - Hélène ChâtelainLa Jetée - Davos Hanich
Elle a compris que tout était terminé. Lui est mort. La 3e guerre mondiale peut commencer.

Le Sang des Bêtes

mardi 9 décembre 2008

Le Sang des Bêtes - Georges Franju Georges Franju, 1952

Le Sang des Bêtes, premier film de Georges Franju, est un court-métrage documentaire sur les abattoirs du canal de l'Ourq dans les années 50.

Servi par un noir & blanc contrasté et un commentaire neutre, Le Sang des Bêtes annonce bien l'univers visuel particulier que Franju développera par la suite dans ses long-métrages de fiction. Les plans sont remarquablement bien construits et mettent en valeur avec force ces images saisissantes, presque surréalistes, de troupeaux puis de carnage d'animaux aux portes de Paris.

Le Sang des Bêtes - Georges Franju - VachesL'étonnant spectacle de troupeaux de vaches marchant vers la mort sur le pavé parisien

Ce film m'a frappé par sa crudité : le processus d'abattage, équarrissage et dépeçage de ces pauvres bêtes est montré, certes sans ostentation, mais également sans aucune censure. Au-dessus de véritables mares de sang, les animaux sont alignés comme s'il s'agissait de simples objets, le tout baigné dans une vapeur suffocante émanant des corps sans vie mais encore chauds. Les abatteurs exécutent mécaniquement ce travail, qu'on devine pénible, sans aucun sadisme mais sans aucune gêne non plus, la clope au bec et souriant à la caméra. C'est un boulot comme un autre, semblent-ils dire. Sept ans après la découverte des camps de la mort, Franju veut-il montrer à quel point l'habitude et les ordres peuvent rendre banals des actes d'une cruauté a priori révoltante ?

Le Sang des Bêtes - Georges Franju - AbattoirL'équarrisseur et sa scie (et sa clope)

Il est aussi possible que Franju ait un propos un peu plus "végétarien" et que le message soit, en gros : "Regardez, chers bourgeois citadins amateurs de bonne viande, regardez l'ignoble travail qu'il faut accomplir, à 2 pas de votre restaurant, pour que vous puissiez avoir dans votre assiette une bonne bavette bien saignante." Je me demande ce que la SPA pense d'un tel film. Et je me demande surtout comment ça se passe maintenant, dans les abattoirs. Si tout cela est moins brutal.

En tous cas, si vous vous sentez de moins en moins carnivore, regardez Le Sang des Bêtes et vous basculerez définitivement dans le camp des végétariens !

Le Sang des Bêtes - Georges FranjuÇa bosse, ça bosse.

Le Sang des Bêtes - Georges Franju - NonnesTiens, tiens ... des bonnes soeurs ! Le fétichisme de Franju à leur sujet ne date donc pas d'hier.

MoteurCoupez !

lundi 8 décembre 2008

MoteurCoupez - Jean Rollin - OvidieMoteurCoupez !
Mémoires d'un cinéaste singulier

Jean Rollin
500 pages, 32€, 2008
Editions Edite

Vu que j'ai un peu de mal depuis 2 semaines à écrire sur le cinéma et la musique, autant parler un peu de littérature. Enfin, pas de littérature avec un grand L puisqu'il s'agit ici des mémoires d'un cinéaste que j'affectionne : Jean Rollin ! Eh oui. Ce beau livre, intitulé "MoteurCoupez !" (disponible ici), agrémenté de 350 photos superbes et inédites, est publié depuis 2 semaines aux éditions Edite. Je l'ai trouvé hier au fin fond de la back-room un peu glauque de la librairie gay L'Eau à la Bouche et je l'ai lu quasiment d'une traite.


Même si l'on n'est pas familier de l'univers si particulier des films de Rollin, MoteurCoupez est un livre passionnant qui aurait pu s'intituler "Comment faire du cinéma lorsqu'on est fauché, poète, intransigeant, hors-mode, un peu alcoolique et très mal organisé".



Dans toutes les directions
Il est d'abord très amusant de constater que ce livre est proche d'un film de Rollin dans sa désorganisation et son côté foutraque. Au delà de la ponctuation aléatoire, de dates erronées, de noms propres dont l'orthographe change (au sein d'un même paragraphe ! Barbara Stanwyck devenant ainsi parfois Barbara Stanwick - p.320) ou encore de légendes ne correspondant pas aux images, j'ai été frappé par le total manque de construction de ce bouquin. On pourrait s'attendre à un récit chronologique de la vie et l'œuvre de Jean Rollin. Eh bien, pas du tout !

Au début, tout va bien : les toutes premières pages sont consacrées à son enfance cinéphilique, où il décrit sa fréquentation assidue des cinémas autour de la Place de Clichy et son admiration pour Henri Langlois (il partage en cela la même éducation que Truffaut). Mais, au bout de quelques pages sur ce thème là, le livre re-bascule sur la mère de Rollin et ses amants, parmi lesquels Georges Bataille, avant de s'embarquer dans la description ultra détaillée de personnages rencontrés pendant la jeunesse du cinéaste - personnages qui ne réapparaissent jamais par la suite - puis une premières parenthèse sur telle personne que Rollin admire avant d'enchaîner sur une anecdote sur Buster Keaton.

Un petit exemple du style "coq à l'âne" / énumération de noms :
Outre Lolo, il y a le parler inimitable du grand Marcel Herrand, disant à Arletty : "Mon ange...", à d'autres : "Absolu-ment pas !". Mon père m'a raconté qu'il avait joué au théatre avec lui, qui fut d'ailleurs merveilleux en Fantômas dans le film de Jean Sacha. Sur scène, mon père, qui jouait torse nu, sentait les yeux de Marcel Herrand qui le brûlait littéralement... Marcel Herrand était homosexuel. Ainsi que Louis Salou qui jouait également dans Les Enfants du Paradis, et épousa cependant Marianne Oswald, amie intime de Denise. Salou se suicida peu après. Marianne organisa un banquet pour son propre suicide et invita une cinquantaines d'amis. Tout le Flore, les Deux Magots et le Select étaient là. (p. 28)
Dès la page 10, on est perdu. Et tout le reste est à l'avenant : chaque page, chaque idée, chaque anecdote se perd en digressions incessantes et en name-dropping sans fin. Jean Rollin ouvre des dizaines de parenthèses qu'il ne referme jamais. Comme devant ses films, il faut un minimum de concentration pour ne pas perdre le fil - malgré la relative simplicité du propos.

MoteurCoupez - Jean Rollin - Le Viol du VampireUn énième plan saisissant du Viol du Vampire

Dans les 100 premières pages, on a en gros une section par film et après ça devient n'importe quoi : les films sont évoqués les uns à la suite des autres mais ne correspondent plus toujours aux images en regard (il m'a ainsi fallu du temps pour trouver les pages traitant de Fascination) et même lorsque Jean Rollin évoque sa fin de carrière, au milieu du livre à peu près, on en est toujours au chapitre intitulé "Une Jeunesse Cinéphilique" ! Avec une clairvoyance qui force le respect, la deuxième partie est sobrement intitulée "Le grand fouillis".

MoteurCoupez - Jean RollinSincère et naïf
A la réflexion, tous ces défauts de forme, qui sont peut-être voulus, sont sans importance face au fond du livre. Car, comme dans ses films, malgré des défauts criants, Jean Rollin parvient à exprimer une touchante sincérité. Ce type hors-norme est avant tout un poète pétri d'intégrité et de sensibilité. Et il a l'immense mérite d'être honnête : il reconnaît volontiers la médiocrité technique d'un grand nombre de ses films et avoue n'avoir jamais fait de direction d'acteurs (et pour cause !).
Je trouvais mon scénario parfaitement construit et limpide. Mais j'étais le seul, personne ne comprenait quelque chose à mon histoire (...) Une fois le film monté, tout le monde sauf moi du se rendre à l'évidence : il était impossible d'y comprendre quelque chose. (p50 & 56)
Sur les acteurs
Je hais les acteurs. Ils font partie d'un monde qui m'est étranger, ils sont frileux, il faut prendre des gants avec eux, on ne sait jamais s'ils se prennent au sérieux (je crois que oui). (p.291)
En revanche, il défend avec virulence ce qui me plaît tant dans ses films, à savoir le surréalisme poétique qu'il essaie d'influer dans chaque plan. Jean Rollin a toujours été pour moi un poète de l'image et c'est ainsi qu'il se définit. Enfin, dernier détail touchant, on sent encore Jean Rollin s'étrangler lorsqu'il évoque tous ces critiques qui l'ont démoli pendant sa carrière avec une virulence totalement disproportionnée.
A ce propos, un passage absolument surréaliste et qui m'a tellement fait sursauter que je l'ai relu 3 fois pour être bien sûr de ce qui était écrit :
Un seul critique fit un éloge dithyrambique du film. Ce critique se nommait Jio Berk - son vrai nom, flamand, était imprononçable pour qui que ce soit, et il avait choisi comme pseudonyme le célèbre personnage de Gébé. Il devint décorateur pour mon deuxième film. C'était un ami très cher. Alcoolique, il se vida de son sang par l'anus et mourut en trois jours. (p 57)
Sans plus d'explication ! Hop, fin de l'histoire, fin du Jio Berk... Ce type est hallucinant !

Pour résumer, voici une bonne auto-critique en 2 lignes du Viol du Vampire
Aujourd'hui je suis fier de ce film : maladroit certes, bancal assurément mais avant tout, j'insiste là-dessus, sincère et naïf. (p.277)
MoteurCoupez - Jean RollinFasciné par la marginalité sous toutes ses formes, Jean Rollin évoque dans ce livre (passionnant, je le répète) toutes les formes d'art qui ont façonné son goût de l'étrange, en particulier les serials (ou "illustrés") italiens des années 50 dont il reprendra directement certaines images. A peu près au milieu du livre, Jean Rollin part dans une digression d'une cinquantaine de pages (!) sur ses films de série B préférés. Ces 50 pages valent de l'or et justifient à elles seules l'achat de ce livre. Au-delà des résumés de ces films qui sont franchement hallucinants, du type "des surfeurs nazis attaquent une ruche de mort-vivants et sont mis en pièce par des vampires mutants", Jean Rollin se passionne avec un enthousiasme sincère pour tel ou tel plan, scène, acteur de ces films hétéroclites (films de vampires mexicains, séries B américaines, films de Franju). Cet enthousiasme est communicatif et me donne envie de me lancer à la chasse de ces trésors méconnus et difficiles à trouver.

Anecdotes
Enfin, au delà du propos artistique de l'auteur, MoteurCoupez est captivant dans ses récits de tournage. Il faut savoir que Jean Rollin a toujours été fauché et ambitieux ("Schlechte Kombination" comme disent les allemands). Entre désistements d'acteurs, pénurie de bobines, actrices nues grelottant de froid sur la fameuse plage de Dieppe (sur laquelle il FAUT que j'aille faire un pèlerinage), producteurs véreux, changements de scénario à la dernère minute et chambres d'hôtels saccagés, presque tous les tournages ont souvent tourné à la foire, d'autant plus que tout ce petit monde picolait et fumait comme des furieux.

MoteurCoupez - Jean Rollin - Le Frisson des VampiresLa fameuse traînée de sang du Frisson des Vampires

Ce passage extrait du tournage du Frisson des Vampires est assez étonnant. En gros, ils versent de la peinture rouge sur les murs du chateau et ça tourne mal :
Jacques Prayer, excellent photographe et qui faisait office de producteur délégué, le seul d'entre nous à n'être pas sous l'emprise de la boisson (sic), avait fait venir les pompiers. Mais ils eurent beau arroser, le donjon était en pierre poreuse et la longue traînée rouge vif doit encore s'y trouver. Nous avons immédiatement pris la route pour Paris. Je crois que René Lucot, grande vedette de son village, nous attend toujours avec un fusil.
Ou encore, on annonce à Jean Rollin que son moyen métrage le Viol du Vampire doit devenir un long métrage. Comment faire alors que la moitié est déja tournée ? C'est simple:
Il s'agissait tout d'abord de trouver une histoire. En effet, à la fin du Viol du Vampire, tous les personnages ou presque étaient morts. J'ai donc eu l'idée d'inventer une reine des vampires pour ramener à la vie, sous forme de vampires ou zombies, les indispensables protagonistes (p. 46)
Il suffisait effectivement d'y penser !

MoteurCoupez - Jean Rollin - La Vampire NueL'hommage direct à Judex de Georges Franju dans La Vampire Nue

Jean Rollin raconte tout cela avec un humour premier degré désarmant. Les anecdotes relatives aux tournages de films X sont également croustillantes. Il faut savoir que Jean Rollin s'est lancé dans cette voie car c'était pour lui la seule manière de gagner de l'argent et donc de financer ses films "normaux" et, au début, il était tellement gêné et prude qu'après avoir installé caméra et acteurs, il quittait le plateau pour aller au bistrot du coin le temps que la scène X soit tournée ! Incroyable !

Bref, MoteurCoupez est le cadeau de Noël idéal pour votre petit cousin qui commence à s'intéresser au cinéma. Un ouvrage de référence à lire, à relire et à ranger au côté du Hitch Book de Truffaut - qui reste pour moi le modèle du livre de cinéma : exhaustif, exigeant, pointu et passionné.

PS : chers lecteurs de Limoges (si il y en a), ne manquez surtout pas l’avant-première de La Nuit des Horloges, le tout dernier film de Jean Rollin, demain mardi 9 décembre (ou mercredi 10 ? le site de l'éditeur, aussi confus que le livre, indique la date fictive du mercredi 9 ici). Bref ça se passe à 20h30 au Lido avec présentation de l’ouvrage et ... en présence du maître ! En fait ce film est projeté ici ou là en avant-première depuis un an, ce qui semblerait indiquer qu’il a du mal à être distribué (on ne change pas une équipe qui gagne). L'actrice principale de ce film est Ovidie, ex-hardeuse, que vous aurez reconnue sur la très jolie couverture de MoteurCoupez.

Jean Rollin - Le Frisson des Vampires - Sandra JulienCe billet me donne l'occasion de reposter une image de la si belle Sandra Julien (Le Frisson des Vampires)

Merci à Clifford Brown pour les scans de la couverture et 4e de couverture