Before Sunrise

dimanche 2 novembre 2008

Richard Linklater, 1995

Pitch : c'est l'histoire d'une rencontre. Céline (Julie Delpy), française, et Jesse (Ethan Hawke), américain, font connaissance dans un train qui va de Budapest à Paris. Jesse s'arrête à Vienne et, à la dernière minute, arrive à convaincre Céline, qui doit aller jusque Paris, de descendre avec lui et de passer une soirée et une nuit à Vienne avant que lui ne reprenne son avion pour les Etats-Unis. Le film dure le temps de cette nuit. Nous suivons nos jeunes backpackers qui déambulent dans les rues de cette ville qui leur est inconnue et qui discutent (beaucoup) de la vie, d'eux-mêmes et de l'amour. Ils finissent par tromber dans les bras l'un de l'autre mais se rendent compte que leur amour ne pourra durer que jusqu'au lever du soleil (le sunrise du titre donc).

Nous voilà donc en face d'une comédie romantique dans son plus simple appareil : un garçon, une fille, une seule nuit. L'"action" est réduite au strict minimum, il n'y a aucune personnage secondaire et les dialogues sont omniprésents. Le film est constitué d'une dizaine de séquences, dans tout type de lieu (un café, une terrasse, un parc, une fête foraine, un tramway) où, de discussions en introspections, on voit l'amour respectif de nos héros se révéler, grandir et enfin être coupé net par l'inévitable séparation du petit matin.

Avec un tel parti pris, la réussite du film repose donc en grande partie sur l'intelligence des dialogues. Hélas, ceux-ci ne volent pas toujours très haut et ne sont pas, par exemple, à la hauteur des films de Rohmer, qui est vraiment le maître en la matière. Before Sunrise est en permanence sur la corde raide entre le marivaudage subtil et le sentimentalisme sirupeux. L'équilibre est fragile, trop fragile, et plus d'une fois, les dialogues basculent dans une certaine mièvrerie dégoulinante. Dans ces moments là, le charme s'évapore, on n'y croit plus, on finit par réaliser qu'il ne s'agit que d'un film et le processus d'identification, indispensable à la réussite d'un tel film, s'arrête. Et puis, peu après, le temps d'une scène juste ou d'une réplique touchante (il y en a un certain nombre), on y croit de nouveau et on re-devient lui ou elle - jusqu'à la prochaine maladresse. Sur ce plan-là, Before Sunrise est donc un film presque très bien et presque raté.

"Avant" : ça papote, ça rigole et ça se croit seul au monde.

En revanche, Before Sunrise décrit très bien les exquises premières heures d'une relation amoureuse. En deux étapes.

D'une part, le film nous montre de manière fort juste ces délicieux moments d'"avant", où le jeu de la séduction bat son plein mais où chacun sent que l'autre a envie de la même chose. Dans ces moments là, il y a une espèce d'entente totale, où tout s'enclenche naturellement. L'un commence une phrase que l'autre termine et on a en permanence envie de dire "Ca alors ! Moi aussi !". Ce mimétisme tacite s'explique pour moi assez simplement : dans ces situations, l'autre devient un miroir qui renvoie une image très positive de soi. On regarde sa propre personne dans les yeux de l'autre et ce qu'on y voit n'est que sourire, plaisir et félicité. Je pense que c'est pour cette raison que ces moments sont si agréables et qu'on les fait souvent durer un peu plus que nécessaire (alors que c'est déjà plié, pour parler vulgairement). Sur le coup, on croit toujours à cette alchimie artificielle (et heureusement ! c'est quand même le sel de la vie tout ça) - même s'il ne s'agit en fin de compte que d'une version civilisée d'une parade nuptiale telle qu'on la trouve chez toutes les espèces animales.

D'autre part, le film décrit assez finement les heures d'"après" (après le premier et chaste baiser, j'entends, celui qui scelle cette reconnaissance commune de l'autre : j'existe, tu existes, nous existons) bref ce moment où on a l'impression que notre couple tout frais est le seul, le plus beau, le plus pur. Où on sent que le monde nous appartient. Où l'on se fait interpeller dans la rue à coups de "Hé ! ça va les amoureux ?". Où toutes les quantités (l'argent, le temps, les distances) sont négligeables. Où la ville, que ce soit Vienne, Paris ou Toulouse, devient le décor de notre comédie romantique : partout où l'on passe, les objets et les gens ont l'air de nous faire des révérences.

Évidemment, cette poésie urbaine ne dure que quelques heures et la réalité (ici, le jour levant synonyme d'avion à prendre) finit toujours par reprendre le dessus. Les pérégrinations nocturnes de Céline et Jesse évoquent avec beaucoup de justesse cette douce rêverie éveillée.

"Après" : la ville est à eux.

En définitive, malgré l'omniprésence de dialogues pas toujours réussis, Before Sunrise est un film d'atmosphère plutôt touchant. Julie Delpy et Ethan Hawke n'en font pas des tonnes et restent justes, juvéniles et charmants. On a envie d'y croire pour eux comme on a pu y croire pour nous - en dépit de la réalité.

Le jour se lève et la belle Julie Delpy va retourner s'enterrer à Paris. Before Sunrise est-il un film de vampire qui s'ignore ?

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4 commentaires:

Benoit a dit…

On prend les même et on recommence car il existe un suite de ce film : Before Sunset qui raconte les retrouvailles un peu plus tard. Pour vous faire gagner du temps de lecture, je dirai que les mêmes causes ont les mêmes effets et que l'analyse présentée ici pour Sunrise vaut aussi pour Sunset.
Le sujet de la rencontre fortuite/coup de foudre romantique est un grand classique d'hollywood dont la grande héroîne etait certainement la belle Audrey Hepburn : Arianne, Vacances Romaines ...
Ces deux films revisitent ce genre sans l'écorcher et l'xercice d'époussetage fonctionne bien.

Marivaudage a dit…

benoit > ouais c'est sympa ton commentaire mais tu me coupes un peu mon effet car en fait j'ai vu les 2 dans la foulée et je comptais faire un post sur Before Sunset.
Mais bon, je ne suis pas 100% d'accord sur le "on prend les mêmes et on recommence". L'analyse n'est pas la même. Je dirai pourquoi très vite (suspens, suspens !).
Bon et moi il faut que je mette la main sur Vacances Romaines, trop la honte de ne pas l'avoir vu.

Benoit a dit…

marivaudage>1000 excuses pour le sifflet et bravo pour tes cahiers. De toute façon maintenant j'ai décidé d'arrêter les commentaires paternalistes et de n'écrire que des "putain elle est bonne" ou des "qui a son adresse ?" sur les blogs.

Marivaudage a dit…

Benoit > mais au contraire, continue avec les commentaires paternalistes ou, mieux encore, péremptoires et de pure mauvaise foi. Ca permet de réagir et d'être encore plus de mauvaise foi.
Exemple spécial dédicace : les films de Cassavetes, c'est tout pourri.

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