Pitch : la 3e guerre mondiale a eu lieu et les habitants de la Terre ont presque tous été décimés. Dans les souterrains d'un Paris post-apocalyptique, vivent quelques survivants et parmi eux des scientifiques qui décident de faire voyager dans le temps des cobayes dans le but de ramener, du passé ou du futur, des informations et des secours. Après plusieurs tentatives, ils jettent leur dévolu sur un homme qui se prête bien à l'expérience car il revit en rêve une scène récurrente de son enfance : la vision d'une belle jeune femme et la mort d'un homme, tous les deux inconnus, sur la jetée de l'aéroport d'Orly, peu de temps avant la guerre. L'homme va donc faire de courts aller-retours présent-passé et va rencontrer cette femme, dans le Paris pré-apocalypse, avec laquelle il va avoir une histoire d'amour aussi platonique qu'intense.
Spoiler : Après de multiples voyages, l'homme acquiert ses galons de voyageur du temps et on lui offre la possibilité de voyager définitivement dans le futur, histoire de retrouver une civilisation reconstruite. Il refuse, décide de retrouver cette femme, revient dans le passé et se retrouve sur cette fameuse jetée, à Orly, au moment même où son souvenir d'enfance s'était forgé. Avant d'avoir pu rejoindre la femme, il est abattu par un voyageur du futur et s'écroule : en tombant, en mourant, il réalise que le souvenir récurrent de son enfance n'était rien d'autre que le spectacle de sa propre mort (incroyable n'est-ce pas ?).
Vous n'avez pas vu La Jetée et pourtant cette histoire vous dit quelque chose ? C'est normal. L'excellent film de Terry Gillian, L'Armée des 12 Singes, est un effet un remake enrichi du film de Chris Marker, Christian-François Bouche-Villeneuve de son vrai nom, habituellement réalisateur de documentaires engagés.
Comme indiqué au générique, La Jetée est un "photo-roman" : en dehors d'une micro-séquence filmée (sur laquelle je reviendrai), le film a la forme d'une succession d'images fixes, sur laquelle se posent une très belle musique, la voix off glaciale d'un narrateur tierce ainsi que d'inintelligibles et furtifs dialogues en allemand (pourquoi en allemand ?).
Par sa forme, son fond, son format (le film dure 28 minutes à peine), La Jetée est un film absolument stupéfiant. Je ne comprends pas comment j'ai pu passer à côté de ce chef-d'œuvre pendant tant d'années - je l'ai regardé deux fois de suite tellement j'étais impressionné.
Il est étonnant de constater à quel point on peut, avec trois francs six sous (car il n'y pas le moindre effet spécial dans ce film), réaliser un film de science-fiction si prenant et si crédible. La superbe qualité des photos, les regards saisissants des acteurs (on sent une vraie influence expressionniste d'ailleurs) et, surtout, la force implacable du scénario, rendent La Jetée captivante de la première à la dernière minute. On sent assez fortement l'inspiration des romans d'anticipation de Barjavel, mais également de Vertigo d'Hitchcock - auquel Chris Marker fait une référence directe dans la scène du tronc de séquoïa qui indique l'écoulement du temps.
La jeune femme, jouée par Hélène Châtelain, est très troublante par sa beauté blonde, glaciale et mystérieuse (une autre référence à Hitchcock sans doute). Elle est au centre de la plus belle scène du film, la plus magique. Pendant un de ses voyages dans le passé, l'homme regarde la jeune femme dormir. Ainsi que dit plus haut, le film est une successions de photographies. Cette scène commence donc par une image fixe de cette jeune fille, appuyée sur son bras, endormie dans son lit. On voit une nouvelle image d'elle, une autre, encore une, et, de fil en aiguille, les images sont de plus en plus semblables, leur enchaînement est plus rapide, et puis, doucement, arrive le miracle : on voit la femme bouger légèrement, cligner des yeux dans son sommeil. Pendant de précieuses secondes, ce ne sont plus des photos que l'on voit mais des images animées. Un film, tout simplement. Toute la magie du cinéma, son mystère, sa force évocatrice, sont recréés le temps de cette séquence inoubliable. Chris Marker réinvente le cinéma à lui tout seul dans cette scène d'une beauté à vous tirer des larmes.
Enfin, ce film est évidemment fascinant par les questions philosophiques qu'il soulève : le temps, la mort, l'image, l'enfance ... tout ça ... tout ça. Bon bon. Qu'en dire ? En première analyse, on comprend assez bien le sens induit par cette histoire d'enfant qui assiste à sa propre mort : cette idée forte, qui est aussi le twist final, représente probablement une forme de passage à l'âge adulte, par la révélation à l'enfant de sa condition de mortel. Au delà de ça, je pressens qu'il y a de bien profondes pensées qui sous-tendent ce film, et qui expliquent pourquoi il est aussi bouleversant, mais je manque hélas d'outils et de connaissances dans ces domaines pour pouvoir les exprimer et donc je botte en touche.
Bref, La Jetée est la plus belle histoire d'amour de science-fiction qu'il m'ait été donné de voir. Et il n'y a maintenant aucune excuse pour ne pas le regarder : il est disponible ici, en qualité correcte, gratuitement et légalement, et dure à peine plus longtemps qu'un épisode de Plus Belle La Vie et bien moins qu'un épisode des navrants Experts.
Pour finir, voici les plans de la dernière séquence, si émouvante et poignante.
A Orly, l'homme a fini par retrouver la femme et court vers elle - qui ne l'a pas encore vu.
L'homme arrive sur la fameuse jetée mais il n'a pas remarqué le tueur du futur sur la gauche.
Elle voit enfin son homme. Trop tard ! Il est frappé en pleine course (le plus beau plan du film selon moi)
Elle est horrifiée. Lui est effondré.
Elle a compris que tout était terminé. Lui est mort. La 3e guerre mondiale peut commencer.
2 commentaires:
C'est sympa de raconter la fin en images, toi qui ne veut même pas savoir de quoi parle un film avant de le voir. Je te classe dorénavant dans ma catégorie de "ceux capables de dévoiler l'identité de Keyser Sozé avant que j'ai vu le film". Sinon, tu sais que Hélène Chatelain est le nom de la secrétaire à tout faire/égérie/incarnation de la femme de... Nestor Burma? Din-gue.
N./> Oui oui c'est vrai que je raconte un peu la fin mais bon l'intérêt est ailleurs que dans le suspense.
Effectivement, pour Hélène Chatelain, c'est gue-din
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