Mémoires d'un cinéaste singulier
Jean Rollin
500 pages, 32€, 2008
Editions Edite
Vu que j'ai un peu de mal depuis 2 semaines à écrire sur le cinéma et la musique, autant parler un peu de littérature. Enfin, pas de littérature avec un grand L puisqu'il s'agit ici des mémoires d'un cinéaste que j'affectionne : Jean Rollin ! Eh oui. Ce beau livre, intitulé "MoteurCoupez !" (disponible ici), agrémenté de 350 photos superbes et inédites, est publié depuis 2 semaines aux éditions Edite. Je l'ai trouvé hier au fin fond de la back-room un peu glauque de la librairie gay L'Eau à la Bouche et je l'ai lu quasiment d'une traite.
Même si l'on n'est pas familier de l'univers si particulier des films de Rollin, MoteurCoupez est un livre passionnant qui aurait pu s'intituler "Comment faire du cinéma lorsqu'on est fauché, poète, intransigeant, hors-mode, un peu alcoolique et très mal organisé".
Dans toutes les directions
Il est d'abord très amusant de constater que ce livre est proche d'un film de Rollin dans sa désorganisation et son côté foutraque. Au delà de la ponctuation aléatoire, de dates erronées, de noms propres dont l'orthographe change (au sein d'un même paragraphe ! Barbara Stanwyck devenant ainsi parfois Barbara Stanwick - p.320) ou encore de légendes ne correspondant pas aux images, j'ai été frappé par le total manque de construction de ce bouquin. On pourrait s'attendre à un récit chronologique de la vie et l'œuvre de Jean Rollin. Eh bien, pas du tout !
Au début, tout va bien : les toutes premières pages sont consacrées à son enfance cinéphilique, où il décrit sa fréquentation assidue des cinémas autour de la Place de Clichy et son admiration pour Henri Langlois (il partage en cela la même éducation que Truffaut). Mais, au bout de quelques pages sur ce thème là, le livre re-bascule sur la mère de Rollin et ses amants, parmi lesquels Georges Bataille, avant de s'embarquer dans la description ultra détaillée de personnages rencontrés pendant la jeunesse du cinéaste - personnages qui ne réapparaissent jamais par la suite - puis une premières parenthèse sur telle personne que Rollin admire avant d'enchaîner sur une anecdote sur Buster Keaton.
Un petit exemple du style "coq à l'âne" / énumération de noms :
Outre Lolo, il y a le parler inimitable du grand Marcel Herrand, disant à Arletty : "Mon ange...", à d'autres : "Absolu-ment pas !". Mon père m'a raconté qu'il avait joué au théatre avec lui, qui fut d'ailleurs merveilleux en Fantômas dans le film de Jean Sacha. Sur scène, mon père, qui jouait torse nu, sentait les yeux de Marcel Herrand qui le brûlait littéralement... Marcel Herrand était homosexuel. Ainsi que Louis Salou qui jouait également dans Les Enfants du Paradis, et épousa cependant Marianne Oswald, amie intime de Denise. Salou se suicida peu après. Marianne organisa un banquet pour son propre suicide et invita une cinquantaines d'amis. Tout le Flore, les Deux Magots et le Select étaient là. (p. 28)Dès la page 10, on est perdu. Et tout le reste est à l'avenant : chaque page, chaque idée, chaque anecdote se perd en digressions incessantes et en name-dropping sans fin. Jean Rollin ouvre des dizaines de parenthèses qu'il ne referme jamais. Comme devant ses films, il faut un minimum de concentration pour ne pas perdre le fil - malgré la relative simplicité du propos.
Un énième plan saisissant du Viol du Vampire
Dans les 100 premières pages, on a en gros une section par film et après ça devient n'importe quoi : les films sont évoqués les uns à la suite des autres mais ne correspondent plus toujours aux images en regard (il m'a ainsi fallu du temps pour trouver les pages traitant de Fascination) et même lorsque Jean Rollin évoque sa fin de carrière, au milieu du livre à peu près, on en est toujours au chapitre intitulé "Une Jeunesse Cinéphilique" ! Avec une clairvoyance qui force le respect, la deuxième partie est sobrement intitulée "Le grand fouillis".
Sincère et naïf
A la réflexion, tous ces défauts de forme, qui sont peut-être voulus, sont sans importance face au fond du livre. Car, comme dans ses films, malgré des défauts criants, Jean Rollin parvient à exprimer une touchante sincérité. Ce type hors-norme est avant tout un poète pétri d'intégrité et de sensibilité. Et il a l'immense mérite d'être honnête : il reconnaît volontiers la médiocrité technique d'un grand nombre de ses films et avoue n'avoir jamais fait de direction d'acteurs (et pour cause !).
Je trouvais mon scénario parfaitement construit et limpide. Mais j'étais le seul, personne ne comprenait quelque chose à mon histoire (...) Une fois le film monté, tout le monde sauf moi du se rendre à l'évidence : il était impossible d'y comprendre quelque chose. (p50 & 56)Sur les acteurs
Je hais les acteurs. Ils font partie d'un monde qui m'est étranger, ils sont frileux, il faut prendre des gants avec eux, on ne sait jamais s'ils se prennent au sérieux (je crois que oui). (p.291)En revanche, il défend avec virulence ce qui me plaît tant dans ses films, à savoir le surréalisme poétique qu'il essaie d'influer dans chaque plan. Jean Rollin a toujours été pour moi un poète de l'image et c'est ainsi qu'il se définit. Enfin, dernier détail touchant, on sent encore Jean Rollin s'étrangler lorsqu'il évoque tous ces critiques qui l'ont démoli pendant sa carrière avec une virulence totalement disproportionnée.
A ce propos, un passage absolument surréaliste et qui m'a tellement fait sursauter que je l'ai relu 3 fois pour être bien sûr de ce qui était écrit :
Un seul critique fit un éloge dithyrambique du film. Ce critique se nommait Jio Berk - son vrai nom, flamand, était imprononçable pour qui que ce soit, et il avait choisi comme pseudonyme le célèbre personnage de Gébé. Il devint décorateur pour mon deuxième film. C'était un ami très cher. Alcoolique, il se vida de son sang par l'anus et mourut en trois jours. (p 57)Sans plus d'explication ! Hop, fin de l'histoire, fin du Jio Berk... Ce type est hallucinant !
Pour résumer, voici une bonne auto-critique en 2 lignes du Viol du Vampire
Aujourd'hui je suis fier de ce film : maladroit certes, bancal assurément mais avant tout, j'insiste là-dessus, sincère et naïf. (p.277)Fasciné par la marginalité sous toutes ses formes, Jean Rollin évoque dans ce livre (passionnant, je le répète) toutes les formes d'art qui ont façonné son goût de l'étrange, en particulier les serials (ou "illustrés") italiens des années 50 dont il reprendra directement certaines images. A peu près au milieu du livre, Jean Rollin part dans une digression d'une cinquantaine de pages (!) sur ses films de série B préférés. Ces 50 pages valent de l'or et justifient à elles seules l'achat de ce livre. Au-delà des résumés de ces films qui sont franchement hallucinants, du type "des surfeurs nazis attaquent une ruche de mort-vivants et sont mis en pièce par des vampires mutants", Jean Rollin se passionne avec un enthousiasme sincère pour tel ou tel plan, scène, acteur de ces films hétéroclites (films de vampires mexicains, séries B américaines, films de Franju). Cet enthousiasme est communicatif et me donne envie de me lancer à la chasse de ces trésors méconnus et difficiles à trouver.
Anecdotes
Enfin, au delà du propos artistique de l'auteur, MoteurCoupez est captivant dans ses récits de tournage. Il faut savoir que Jean Rollin a toujours été fauché et ambitieux ("Schlechte Kombination" comme disent les allemands). Entre désistements d'acteurs, pénurie de bobines, actrices nues grelottant de froid sur la fameuse plage de Dieppe (sur laquelle il FAUT que j'aille faire un pèlerinage), producteurs véreux, changements de scénario à la dernère minute et chambres d'hôtels saccagés, presque tous les tournages ont souvent tourné à la foire, d'autant plus que tout ce petit monde picolait et fumait comme des furieux.
Ce passage extrait du tournage du Frisson des Vampires est assez étonnant. En gros, ils versent de la peinture rouge sur les murs du chateau et ça tourne mal :
Jacques Prayer, excellent photographe et qui faisait office de producteur délégué, le seul d'entre nous à n'être pas sous l'emprise de la boisson (sic), avait fait venir les pompiers. Mais ils eurent beau arroser, le donjon était en pierre poreuse et la longue traînée rouge vif doit encore s'y trouver. Nous avons immédiatement pris la route pour Paris. Je crois que René Lucot, grande vedette de son village, nous attend toujours avec un fusil.Ou encore, on annonce à Jean Rollin que son moyen métrage le Viol du Vampire doit devenir un long métrage. Comment faire alors que la moitié est déja tournée ? C'est simple:
Il s'agissait tout d'abord de trouver une histoire. En effet, à la fin du Viol du Vampire, tous les personnages ou presque étaient morts. J'ai donc eu l'idée d'inventer une reine des vampires pour ramener à la vie, sous forme de vampires ou zombies, les indispensables protagonistes (p. 46)Il suffisait effectivement d'y penser !
L'hommage direct à Judex de Georges Franju dans La Vampire Nue
Jean Rollin raconte tout cela avec un humour premier degré désarmant. Les anecdotes relatives aux tournages de films X sont également croustillantes. Il faut savoir que Jean Rollin s'est lancé dans cette voie car c'était pour lui la seule manière de gagner de l'argent et donc de financer ses films "normaux" et, au début, il était tellement gêné et prude qu'après avoir installé caméra et acteurs, il quittait le plateau pour aller au bistrot du coin le temps que la scène X soit tournée ! Incroyable !
Bref, MoteurCoupez est le cadeau de Noël idéal pour votre petit cousin qui commence à s'intéresser au cinéma. Un ouvrage de référence à lire, à relire et à ranger au côté du Hitch Book de Truffaut - qui reste pour moi le modèle du livre de cinéma : exhaustif, exigeant, pointu et passionné.
PS : chers lecteurs de Limoges (si il y en a), ne manquez surtout pas l’avant-première de La Nuit des Horloges, le tout dernier film de Jean Rollin, demain mardi 9 décembre (ou mercredi 10 ? le site de l'éditeur, aussi confus que le livre, indique la date fictive du mercredi 9 ici). Bref ça se passe à 20h30 au Lido avec présentation de l’ouvrage et ... en présence du maître ! En fait ce film est projeté ici ou là en avant-première depuis un an, ce qui semblerait indiquer qu’il a du mal à être distribué (on ne change pas une équipe qui gagne). L'actrice principale de ce film est Ovidie, ex-hardeuse, que vous aurez reconnue sur la très jolie couverture de MoteurCoupez.
Ce billet me donne l'occasion de reposter une image de la si belle Sandra Julien (Le Frisson des Vampires)
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