La rupture en chansons

lundi 22 juin 2009

Ah les joies d'une bonne vieille rupture. Tout cela est très banal mais on y trouve toujours de grands moments de rock'n'roll. Laissons-nous donc accompagner, dans chacune des étapes de ces moments de notre existence, par des petites perles de pop music . "It builds character" comme disait le père de Calvin.
PS : ce texte n'est lié à aucune actualité précise :-)

Etape 1 : Les gros doutes
Où l'on sent que la personne en face n'est plus tellement à fond. La boule que l'on a au fond de la gorge commence dangereusement à descendre vers l'estomac. La peur gagne. A ce sentiment se rajoute parfois un intolérable doute : ai-je déjà été remplacé par un AUTRE ? Cette perte de confiance ne fait en général qu'accélérer l'inéluctable dénouement.
Ce sentiment est fort bien illustré par cette interminable et si belle chanson de Rare Earth : (I know) I'm losing you.
Your love is fadin', I feel it fade
Ah, your love is fadin', I feel it fade
Ah, your love is fadin', woman I feel it fade

Ah, woman, woman your touch, your touch has gone cold
As if someone else controls your very soul
I've fooled myself long as I can
Can feel the presence of another man

It's there when you speak my name
It's just not the same
Ooo babe, I'm losing you
It's in the air
It's there everywhere
Baby, baby, babe, I'm losing you







Rare Earth - (I Know) I'm Losing You

Ca rigole, ça rigole mais ça chante aussi des textes diablement tristes
A ce stade, matériellement, peu de choses ont encore changé mais bon, ça commence à sentir le sapin. "Elle n'y est plus" et il faut commencer à se préparer au pire. Ce qu'il y a de bien avec les Beatles, c'est qu'on trouve toujours une chanson d'eux qui colle exactement à notre état d'esprit amoureux. Dans la phase de gros doute, For No One est parfaite.
Your day breaks, your mind aches
You find that all her words of kindness linger on
When she no longer needs you

She wakes up, she makes up
She takes her time and doesn't feel she has to hurry
She no longer needs you

And in her eyes you see nothing
No sign of love behind the tears
Cried for no one
A love that should have lasted years

You want her, you need her
And yet you don't believe her when she says her love is dead

You think she needs you
And in her eyes you see nothing
No sign of love behind the tears
Cried for no one
A love that should have lasted years

You stay home, she goes out
She says that long ago she knew someone but now he's gone
She doesn't need him












The Beatles - For No One



Etape 2 - Le déni ou les tentatives foireuses de rattrapage
A cette étape, la rupture est tombée comme la lame d'une guillotine mais tout cela a été si brutal et on n'était en fin de compte si peu préparé qu'on commence par nier la situation et qu'on essaie de la rattraper par des tentatives de récupération qui sont irrémédiablement vouées à l'échec. C'est l'étape qu'on regrette le plus par la suite, où socialement, on touche le fond du ridicule et de l'aveuglement

Cette superbe chanson de Pulp, Don't you want me anymore?, raconte fort bien cette période de refus de la réalité.
A 0'45, Jarvis Cocker prend tranquillement son train dans le but de reconquérir sa belle
Now I'm two hours from the station.
Yeah I'm coming home again.
I'm gonna show this time who's master - as soon as I get off this train
You're gonna love me more than ever,
and the sun will shine again.
And I will kiss your face,
and I will make you smile again
A 2'45, la confrontation avec la réalité va lui mettre une terrible claque (car il y a un AUTRE, l'abject autre, celui qui va être à l'origine d'horribles nuits blanches)
And I can't, I can't believe it's happening.
I know that, oh there must be some mistake.
You found yourself another lover,
and you're glad we made the break.

Oh you don't even, you don't even want to see me.
You just wanna wave and say "Goodbye.
Go away now, and leave us alone,
No this house is not your own"
Et tout le monde se moque du pauvre Jarvis
And now the whole damn town has come on out to laugh at me.
Oh yeah.
Oh they can stare for evermore; you do not care for me.
Oh no.
Oh they can stare now for a hundred thousand years.
Don't you want me anymore?







Pulp - Don't You Want Me Anymore?


Etape 3 - La réalité en pleine gueule
OK, là on a compris, on n'est pas encore terrassé mais on a déjà un genou à terre. La réalité de la rupture apparaît maintenant clairement. On comprend qu'on va devoir se battre contre un terrible ennemi : l'irrémédiable absence de notre ex-moitié.


C'est aussi à ce moment-là qu'on partage ses affaires, les CDs, les photos, les bouquins et qu'on la voit nous rendre des cadeaux qui avaient pourtant été spécialement choisis pour elle ("Non, non je te le rends. Pour moi, ça t'appartient"). Certes, le dégoût nous envahit mais on fait bonne figure. On sent bien qu'il faut passer à autre chose. "Oublie-moi !", semble ainsi chanter les Strokes sur ce superbe titre.
I want to be forgotten,
and I don't want to be reminded.
You say "please don't make this harder."
No, I won't yet.

I wanna be beside her.
She wanna be admired.
You say "please don't make this harder."
No, I won't yet.
Suivi d'un terrible "You don't miss me, I know." (à 1'30)







The Strokes - What Ever Happened?

Et ABBA nous rappelle par cette chanson sublime (ma préférée de ce groupe phénoménal, que j'ai viré depuis bien longtemps de mes plaisirs coupables), qu'une relation amoureuse peut être vue comme un jeu à l'issue duquel le gagnant prend tout et le perdant n'a plus que ses yeux pour pleurer (avec, pour une fois, un point de vue féminin).
I don't wanna talk
About the things we've gone through
Though it's hurting me
Now it's history
I've played all my cards
And that's what you've done too
Nothing more to say
No more ace to play

The winner takes it all
The loser standing small
Beside the victory
That's her destiny
Et, à 2'20, ce terrible passage sur l'AUTRE où la chanteuse crève de jalousie tout en essayant de rester digne
But tell me does she kiss
Like I used to kiss you?
Does it feel the same
When she calls your name?

Somewhere deep inside
You must know I miss you
But what can I say
Rules must be obeyed







ABBA - The Winner Takes It All


Etape 4 - La loose totale
L'étape 3 était un peu le dernier éclair de lucidité, une espèce de sursaut de dignité guidé par l'instinct de survie, avant que toute estime de soi ne soit balayée par la loose auto-destructrice que représente l'étape 4. Le sentiment qui domine est alors le rejet. Dans ces moments, la commune mesure et la modération n'ont plus droit de cité dans notre esprit démoli. On est une merde et on est presque content de l'être.

Une attitude à adopter, proposée par Jarvis Cocker toujours (sur le bien-nommé album Separations de Pulp, dont j'aurais pu prendre toutes les chansons une par une pour illustrer cet article), consiste à boire, sortir et rencontrer d'autres filles. C'est la réaction la plus simple mais pas toujours la plus constructive. En tout cas, on met souvent son foie et son portefeuille en péril.
Oh now the lonely nights begin and
there is nowhere left to go
But watch my spirit melt away, down at the D-I-S-C-O
I must have died a thousand times
The next day, I was still alive
And I still believe in you
Yes I do
Let's do it now
Et plus loin, à 2'45, les paroles que je préfère de cette chanson magnifique
Alright you can go out and make love to
whoever, or whatever you like babe
So I go out and fill my eyes with other women
Oh they look good to me and I think that I might kiss them

Oh now it´s 2 a.m. and I´m still stood here waiting
So I go home and wonder why I bother going







Pulp - Death II

Ensuite, un peu d'auto-apitoiement ne faisant jamais de mal dans ces moments-là, on peut se réfugier comme Morrissey dans une posture romantique où l'amour n'existerait plus qu'en rêve.
Last night I dreamt
That somebody loved me
No hope, no harm
Just another false alarm


Last night I felt
Real arms around me
No hope, no harm
Just another false alarm







The Smiths - Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me

Et suivons Fischerspooner dans leur logique jusque-boutiste : tant qu'à faire, dans ces périodes d'hyper-loose, autant se considérer comme une catastrophe naturelle, ce qui permet d'expliquer à moindres frais tous les échecs passés. De toutes façons, je suis un raté alors à quoi bon lutter ?
All alone...
I've gone out
So many nights
Nobody's there
Lost and wasted
Why am I alone?
Who made me this way?
Na-tural disaster...







Fischerspooner - Natural Disaster


On peut enfin se lancer à corps perdu, tel Fuzzati du Klub des Loosers (quel nom pour un groupe composé d'une seule personne !), dans un dégoût de soi et du monde, cette fois-ci sous un angle trash, outrancier et suicidaire. Et donc extrêmement drôle au final. A partir d'une minute :
Bizarrement, le Klub des Loosers semble plaire à quelques personnes
Ils ont fortement apprécié mon sens de l'autodérision
Je me demande ce qu'ils diront en apprenant que mon corps pourrit lentement à une corde
Ca c'est mon sens de l'autopendaison
etc etc ... tout le texte est vraiment drôle mais un peu trop long pour être intégralement recopié ici.








Klub des Loosers - Il faut qu'on parle

Etape 5 - La résurrection
Un matin, on se lève et on n'a plus envie de vomir - sans forcément qu'on trouve une explication rationnelle à ce retournement de situation. Ou peut-être était-on ainsi depuis quelques semaines mais on avait tellement l'habitude de dire "C'est la loose, je déprime à mort" qu'on avait arrêté d'analyser objectivement notre état. Bref, le monde nous apparaît alors comme un territoire verdoyant à explorer, on rencontre de nouvelles personnes, le soleil brille et on retrouve 20 € au fond de sa poche pour offrir une caïpirinha à cette belle inconnue.
Comme le chante cette fille sur ce titre enthousiasmant de The Avalanches : "Since I left you / I've found the world so new".







The Avalanches - Since I Left You

Etape 6 - La nostalgie
Les années passent, l'eau coule sous les ponts, certes les plaies ne se referment jamais vraiment mais elles ne saignent plus et on peut regarder en arrière avec une certaine sérénité : la haine de soi et des autres a disparu, les remords ardents se sont transformés en doux regrets, les erreurs commises nous apparaissent clairement (ce qui ne veut pas dire qu'on n'en fera plus : ça serait trop simple !).
C'est l'heure de la sagesse (point de vue optimiste) ou de la résignation (point de vue pessimiste) et on peut alors chanter avec Charles Trénet : que reste-t-il de nos amours ?
Que reste-t-il de nos amours ?
Que reste-t-il de ces beaux jours ?
Une photo, vieille photo
De ma jeunesse
Que reste-t-il des billets doux
Des mois d'avril, des rendez-vous
Un souvenir qui me poursuit
Sans cesse
Bonheur fané, cheveux au vent
Baisers volés, rêves mouvants
Que reste-t-il de tout cela ?

Dites-le moi







Charles Trénet - Que reste-il de nos amours ?

Et cela me permet de terminer sur une note cinéphile : le titre de Baisers Volés de François Truffaut est un hommage à cette chanson de Charles Trénet.

La grande question de Rob : What came first, the music or the misery?

Tout cela n'est pas très gai, me direz-vous. Peut-être, mais pour les amateurs de pop music, il y a des circonstances atténuantes à cette vision des choses, ainsi que l'explique très bien ce cher Rob Fleming (mon héros, à qui je dédicace cet article) :
(...) some of these songs I have listened to around once a week (..) since I was sixteen or nineteen or twenty-one. How can that not leave you bruised somewhere? How can that not turn you into the sorts of person liable to break into little bits when your first love goes all wrong? What came first, the music or the misery? Did I listen to music because I was miserable? Or was I miserable because I listened to music? Do all those records turn you into a melancholy person?
People worry about kids playing with guns, and teenagers watching violent videos (...). Nobody worries about kids listening to thousands - litterally thousands - of songs about broken hearts and rejection and pain and misery and loss. The unhappiest people I know, romantically speaking, are the ones who like pop music the most."
Nick Hornby in High Fidelity (Penguin Fiction, p.19)

Ouf !

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8 commentaires:

FrenchFries a dit…

La première chanson est vraiment immense !

Je profite de ce comment pour dire que j'ai découvert ce blog il y a 15 jours et que depuis j'ai écouté toutes les chansons depuis le début... Mon Ipod te dit merci, j'ai découvert des millions de sons géniaux !!

Marivaudage a dit…

FrenchFries > Oui elle est assez étonnante cette chanson, sous influence Led-Zeppelinienne directe, avec une touche de MC5, Ten Years After voire de Deep Purple (pourtant pas du tout ma came d'habitude).

et merci pour ton commentaire, ça fait plaisir de savoir que ces chansons vivent ensuite leur petite vie en dehors de ce site

IMtheRookie a dit…

Très beau poste ! Content que le texte ne soit lié à aucune actualité précise pour toi, d'ailleurs il faut un minimum de lucidité pour écrire ça...
J'aime assez la progression des différentes étapes (toutes bien formulées). L'ensemble est à la hauteur de la référence finale à Hornby. Il y a là une méthode de la tristesse que je trouve assez fascinante. Dans les moments de rupture on est dans un état de sensibilité exacerbé qui fait les chansons plus tristes mais plus belles aussi.
Je suis d'accord pour l'étape 6 (la nostalgie), mais je crois que la chanson ne convient pas bien. Pour moi "Que reste-t-il de nos amours" n'est pas une chanson de rupture, c'est une nostalgie des débuts mais qu'on ressent quand on est encore avec la même personne. Mais peut-être que je suis plus influencé par les films de Truffaut que par la chanson en disant ça. De plus je n'ai pas vraiment de chanson de nostalgie à proposer.
Par contre je propose une 7ème étape - Le deuil ou l'oubli, ça vient après la nostalgie, on a passé l'éponge et — au point que c'est parfois terrifiant — on ne ressent plus rien. Pour cette étape je connais une chanson très belle et très lugubre de Stars, qui s'appelle "Your ex-lover is Dead" : http://www.youtube.com/watch?v=4v8FJhQ-teE
Ah et j'y pense maintenant pour l'étape 2 je proposerais bien aussi Don't Speak de No Doubt, mais c'est peut-être un guilty pleasure cette chanson :)

Patate a dit…

Je suggérerais trois titres!

- The last day of our acquaintance - Sinead O'Connor

- No need to argue - the cranberries

- Nothing better (idéalement la version sur le EP We will become silhouettes) - The Postal Service

Thomas a dit…

Bravo pour ce beau post, fort documenté...Puisqu'il y a "the winner takes it all", je pense qu'il y a l'essentiel !
Et s'il convenait de suggerer une chanson, je proposerai dans l'étape 3, "lindberg" de robert charlebois, qui est une magnifique démonstration à la sauce quebec du concept de la réalité en pleine gueule , a la fois sobre et assez juste.
Ton blog mérite vraiment d'être connu ! moi aussi j'y découvre plein de chansons que je vais essayer de les mettre sur mon ipod

Alberto a dit…

Etape 6, la nostalgie, c'est aussi et surtout l'heure de la poésie: c'est le moment où on a pris du recul, les éléments pratiques liées à la rupture deviennent tous petits, il ne reste que l'émotion, voir le souvenir de l'émotion, qui est lui même poésie et nostalgie.
J'ai un titre qui illustre cela très bien pour moi, mais forcément subjectif, c'est en italien et pas vraiment "exportable". Vasco Rossi - Anima Fragile. http://www.youtube.com/watch?v=dc0KbZS0kXg
Curieusement toi aussi tu as mis une chanson en ta langue maternelle, la seule, à l'étape 6: peut être que c'est l'étape la plus intime et que la langue maternelle est la plus appropriée pour cela? Ciao

Griffe a dit…

'Tain, je sens que je vais m'éclater sur ce blog !

Marivaudage a dit…

Hello à tous et merci pour vos commentaires chaleureux & suggestions - auxquels je réponds bien tardivement

IMtheRookie > Maintenant que tu le dis, je pense que c'est toi qui a raison sur ton interprétation de la chanson de Trénet. A l'instar de Dario Argento, j'ai déformé la réalité pour illustrer mon propos ...
Quant à ton étape 7, j'avoue ne l'avoir encore jamais connue !

Patate > Merci pour les suggestions, parmi lesquelles je ne connais que No Need To Argue qui est effectivement très belle (et l'une des seules chansons des Cranberries que je tolère).

Thomas > Je ne sais pas pourquoi mais j'ai du mal à imaginer Charlebois chanter des chansons d'écorché vif - mais je vais essayer !

Alberto > Evidemment, je n'ai rien compris aux paroles de la chanson que tu me suggères !
Tu as peut-être raison sur tes histoires de langue maternelle. Quoique, les chansons qui me touchent le plus dans tout mon article sont celles de Pulp, en anglais donc.

Griffe > Merci et bienvenue par ici. Je vais essayer d'alimenter ce blog un peu plus régulièrement et avec des articles moins ambitieux et moins longs.

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