Inglourious Basterds

dimanche 23 août 2009

Quentin Tarantino, 2009

Pitch : des juifs et des nazis s'étripent sous l'Occupation.

Un premier constat s'impose : il s'agit bien d'un film de Quentin Tarantino. En dehors des habituels dialogues sur-écrits (j'y reviendrai), on retrouve un certain nombre de tics cinématographiques du réalisateur le plus sur-côté de ces 10 dernières années : histoires croisées, élimination soudaine et sans gloire de ses héros (à la Travolta dans Pulp Fiction ou De Niro dans Jackie Brown), intertitres entre chaque chapitre du film etc. Et ce gros plan de profil sur les lèvres de Mélanie Laurent se mettant du rouge à lèvres est une copie conforme de la scène de Pulp Fiction avec Uma Thurman - tout comme le mitraillage d'une voiture allemande par les basterds qui est directement issu de Reservoir Dogs. Mais ces auto-emprunts ne sont pas des défauts selon moi.

En revanche, la manière dont cette histoire multicéphale nous est racontée est beaucoup plus problématique. Jusqu'à la scène finale, dans le cinéma, à l'issue de deux heures étirées à un point où la crispation l'emporte parfois sur l'ennui, un deuxième constat m'a sauté aux yeux : Quentin Tarantino n'est pas un cinéaste intéressé par la narration mais par la situation. Il sait poser des personnages dans une pièce, il sait les faire parler (mais pas les faire vivre !) et il sait bien contextualiser sa scène. Mais, coincé comme il est dans sa volonté de faire prononcer par ses acteurs des "dialogues qui tuent", je trouve qu'il ne sait pas vraiment faire avancer son histoire.

La scène de l'auberge est pour moi symptomatique de ce travers - même si elle n'est pas la plus ratée. L'exposition des personnages et du contexte dure un temps incroyablement long, dix, quinze minutes je ne sais pas mais Dieu que c'est laborieux (et suis-je le seul à trouver que la lumière est très laide pendant toute cette scène ?). Certes, la tension monte mais à quel prix ! Au bout d'un temps infini, la fusillade, attendue, libératrice tant on s'ennuie, est effectivement brillante mais terriblement frustrante par son immédiateté. Au bout de 20 secondes à peine, l'ultra-violence retombe comme un soufflé et c'est reparti pour un dialogue qui se veut "déjà culte" (entre Brad Pitt et le survivant). J'avais ressenti la même frustration avec le premier accident de Death Proof qui nous est montré comme un flash après 45 minutes (!) de dialogues inintéressants à souhait.

En dehors de la dernière demi-heure, Inglourious Basterds est donc une succession de scènes verbeuses jusqu'à l'écœurement. Entre ces scènes, il se passe des choses, l'histoire (la petite comme la grande) avance mais rien ne nous est montré. Les ellipses au cinéma ne sont pas pour moi une mauvaise chose en soi mais je suis surpris par leur utilisation systématique. On trouve parfois cela dans les films fauchés mais là, avec les moyens dont Quentin Tarantino dispose et que j'imagine illimités, on se demande vraiment quel propos justifie ce parti-pris narratif. Peut-être se dit-il que ses dialogues sont tellement géniaux qu'ils suffisent à créer du cinéma. Mais je me répète, passons.

Christoph Waltz, qui fait une entrée dans mon TOP 5 des méchants au cinéma

Un mot sur le casting que je trouve incroyablement inégal. Si Christoph Waltz est effectivement brillantissime et n'a vraiment pas volé son Prix d'interprétation masculine, si Brad Pitt n'est en fin de compte pas si gonflant (malgré un premier quart d'heure qui m'a fait très peur), si tous les Basterds sont assez crédibles (Eli Roth en particulier), le film est pour moi fortement handicapé par des rôles franchement mal incarnés. Mélanie Laurent n'est pas tellement plus enthousiasmante que Marion Cotillard, c'est-à-dire pas enthousiasmante du tout. Diane Kruger, avec son accent allemand archi-forcé, est bien fadasse - tout comme Daniel Bruhl. Mention spéciale au projectionniste qui est d'une nullité invraisemblable pour une production de cette ampleur (ils ont été le chercher dans Plus Belle La Vie ou quoi ?).

Bref, au bout de deux heures, j'étais prêt à crier à l'escroquerie. Et puis ... un petit miracle se produit lors de la scène de l'attentat au cinéma. A ce moment, Tarantino met en veilleuse les défauts cités plus haut et en action son immense talent. Les personnages se taisent enfin, les ellipses disparaissent et on nous montre enfin une vraie, longue scène de cinéma avec de l'action, du suspense, des rebondissements, des beaux acteurs et de belles actrices, et même de la vie : on finit (enfin !) par vibrer pour ces personnages et cette histoire.

En plus de ce sens retrouvé de la narration, Quentin Tarantino nous gratifie dans cette scène finale de superbes images. La vision du tas de bobines derrière l'écran est assez exceptionnelle mais la palme de l'image la plus marquante revient à ce plan absolument hallucinant où l'écran prend feu tout en nous montrant l'image terrifiante de Mélanie Laurent annonçant aux nazis le châtiment qu'ils méritent. Les cinq secondes que durent cette image époustouflante m'ont presque fait oublier tout ce que j'ai pu dire plus haut. Et le mitraillage des nazis par les deux derniers basterds, avec force gros plans et ralentis, en devenait jubilatoire : on est vraiment dans leur camp et on a presque envie de tenir la mitraillette à leur place.

Pas moyen de trouver des images marquantes de la scène finale - en dehors de celle-ci. L'excellent Eli Roth à droite

Cette dernière scène nous fait donc sortir de la salle avec un réel sentiment d'excitation mais je ne suis pas sûr que le temps de la réflexion soit favorable à une oeuvre aussi inégale qu'Inglourious Basterds. J'ai lu aujourd'hui (dans Paris-Match !) une interview de Tarantino himself donnant son avis sur Kill Bill 2, qu'il a revu tout seul chez lui : "C'est mon meilleur film. Je l'adore." déclare-t-il avec sa modestie légendaire. Mouais. Quand il n'aura plus la grosse tête et qu'il arrêtera de se regarder et (surtout) de s'écouter, peut-être refera-t-il un film aussi brillant que Reservoir Dogs. Là, avec Inglourious Basterds, à mon humble avis, il en est encore assez loin.

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19 commentaires:

Laurent a dit…

Je me permets de laisser mon avis, à l'opposé total du tien.

Dès le générique, l’on sait que Inglourious Basterds sera protéiforme. En effet, la typographie sans cesse changeante des caractères s’inscrivant à l’écran nous est d’ores et déjà donnée comme une piste de l’entreprise à laquelle va se livrer le metteur en scène (avec un clin d’œil à Pulp Fiction au détour d’un style bien précis d’écriture). Jeu avec les langues, convocation du film de guerre, du film d’exploitation, du film d’action, et bien entendu du western, Inglourious Basterds laisse à nouveau éclater l’extraordinaire talent de Tarantino à mélanger les genres, les influences, les références, pour livrer une œuvre totalement personnelle. Inglourious Basterds, c’est avant toute chose la cristallisation sur pellicule du fantasme de tout cinéaste (et a fortiori de tout artiste), celui de voir une œuvre changer le monde. Sans rentrer dans les révélations (bien que le cinéaste lui-même ait défloré la chose dans ses nombreuses interviews), disons simplement que le cinéma joue dans le film un rôle crucial, déterminant, historique, dans un cadre pourtant réel, celui de la seconde guerre mondiale. Qu’un film puisse changer le cours des destinées (fussent-elles individuelles ou collectives), c’est le rêve de tout artiste. Tarantino le réalise ici, en affirmant l’air de rien le pouvoir de la fiction, la puissance du rêve et la nécessité absolue de l’imaginaire. Outre cette idée en béton armée qui sous-tend la totalité du film, le metteur en scène déclare à nouveau son amour immodéré pour le western, grâce notamment à la musique d’Ennio Morricone, qui rythme le film de bout en bout, et à des scènes qui pourraient sortir tout droit d’un film de Leone (la longue séquence d’ouverture fait irrémédiablement penser à celle du Bon, la Brute et le Truand, dans laquelle le personnage de Lee Van Cleef interroge un paysan avant de tuer toute sa famille). Le western comme genre ultime du cinéma (puisque ses codes peuvent être utilisés dans n’importe quel autre genre), c’est une idée qui n’est certes pas nouvelle, mais qui trouve ici un écho irréfutable. En outre, Tarantino parsème son film de références à d’autres films, d’autres cinéastes (Pabst, Chaplin, Hitchcock, Clouzot) et c’est un pur plaisir de cinéphile de décrypter les affiches des arrières-plans, ou les allusions à l’histoire du cinéma.
S’agissant des dialogues, ils sont, à nouveau, d’une qualité d’écriture remarquable, rappelant que Tarantino excelle à faire naître une véritable musique des mots, une mélodie verbale incomparable, qui parvient tantôt à faire naître un suspense intenable (la séquence d’ouverture), tantôt à créer des situations de pure comédie (la scène des « Italiens »). L’on sait que l’un des aspects les plus originaux du cinéma de Tarantino consiste à injecter dans un monde ultra-codé des situations et dialogues sortis du plus banal des quotidiens. Il ne déroge ici pas à la règle, donnant par là même une consistance, un réalisme et, in fine, un attachement immédiat pour ses personnages.
Impossible enfin de ne pas relever l’hallucinante composition de Christoph Waltz en officier SS dont la culture et la distinction n’ont d’égale que la dimension abyssale de son vice, ainsi que la présence de Samuel L. Jackson dans le rôle du narrateur (sans aucun doute le comédien qui parvient le mieux à donner leur résonnance aux mots de Tarantino).
A l’issue des 2h30 de projection, qui passent plus vite qu’un éternuement, l’on ressort dans un état de jubilation absolue. Celle d’avoir assisté à un pur film de cinéma, où la qualité des dialogues, du scénario, du jeu des acteurs, de la mise en scène et de l’implication émotionnelle du spectateur est portée à un niveau de quasi-perfection. Mais surtout celle d’avoir été témoin de la victoire de la fiction sur le réel au sein d’un film. On ne saura jamais assez gré à Quentin Tarantino d’avoir imprimé une telle victoire sur celluloïd.

Julien a dit…

Bien d'accord avec votre critique : manque de rythme, mélange des genres parfois mal digéré et surtout un problème de cohérence monumental, le tout encore un peu gâché par les acteurs plutôt mauvais dans l'ensemble (excepté Christophe Waltz qui est parfait). Et le final est grandiose. Pas d'accord en ce qui concerne la scène dans l'auberge par contre, je trouve que c'est une des plus réussies (avec l'ouverture - magnifique, qui laissait présager d'un grand film ambitieux impression bien vite descendue par l'arrivée bouffonne des Basterds menée par un Brad Pitt qui, je suis désolé, m'a gavé - et le final).

Pour ce Tarantino, je n'irai pas plus loin que 'bon moment mais impression mitigée : peut mieux faire !'

Julien a dit…

Au passage : je découvre ce blog et ses notes sur, notamment, Twin Peaks et Suspiria, qui font partie de mes 100 préférés de l'histoire du cinéma... Je repasserai !

Anonyme a dit…

un prophète, c'était vraiment chouette! merci. al.

Anonyme a dit…

Tarantino n'a plus rien fait d'original et d'intéressant depuis "Jackie Brown". Beaucoup de bruit pour pas grand chose.

Anonyme a dit…

tarantino s'amuse , il a les moyens de se faire plaisir ! .comme un gosse , la forme l'intérrése plus que le fond . je croie qu'ont appél sa : du divertisement pour bobo . de la pop ( évidament capitaliste ). ps : non j'ai pas vu le film ! j'avais mieu a fair . salut (douzi28.05.70 -

Jack a dit…

Je suis tombé ici sur une critique assez sévère: http://cdsonline.blog.lemonde.fr/

youyouk a dit…

Bien content de trouver une critique qui rejoigne la mienne, tout n'est effectivement pas au top dans ce film!

http://www.youyouk.fr/2214/critique-film-inglourious-basterds/

Dans un film de Tarantino il y a en général: des flingues, de jolies nanas et des dialogues qui cartonnent. Naturellement enthousiasmé par ce cocktail testostéroné, j’avais franchement hâte de découvrir Inglourious Basterds. Le film est découpé en 5 chapitres, le premier étant celui que j’ai préféré. Tout d’abord parce que c’est presque le seul moment du film où nous voyons des décors, j’entends par là des paysages en plan large. Bien que le film change ensuite de cadre, nous aurons plus à imaginer le lieux des évènements qu’à nous y croire spontanément. Sous ses airs faussement cachés d’hommage aux westerns (la musique d’Ennio Morricone va plutôt bien, au début du moins), ce manque de “grand air” se fait cruellement sentir. Cette fiction se rapproche également du documentaire historique, par la longueur exaspérante de certaines scènes. Peu ou pas d’action, alors que le titre du film fait référence à une bande de salopards venus en France pour scalper du nazi. Pour ou contre, je reproche à Tarantino de ne pas avoir clairement choisi un style ou l’autre: soit totalement trash et déjanté (ce que j’attendais finalement), ou alors un film “à part” dans sa filmographie, mais résolument émouvant. En revanche j’ai été épaté par le jeu d’acteur de Christoph Waltz, qui interprète à merveilles le Colonel Hans Landa (chasseur de juifs). Il mérite un oscar. Ce film de 2h30 m’a semblé trop long, et puis la scène finale faussement jouissive où tout le monde crève se veut trash, mais au final on reste pour le coup bloqué dans l’aspect historique, puisque ce genre de méthode était utilisée par les nazis eux-mêmes. Alors je suis déçu, déçu que le film ne choisisse pas ouvertement son style (western, trash, historique, fiction), nous plongeant finalement dans la première pièce de théâtre écrite par Tarantino.

Marivaudage a dit…

Laurent > je ne suis évidemment pas d'accord avec toi :)
Je vois ce que tu veux dire sur les références cinéphiliques mais ... comment dire ... je m'en fous ! Je comprends que QT se fasse plaisir mais pense-t-il à son spectateur qui n'a jamais vu de film de Pabst (c'est mon cas) et qui se moque de ce type de clins d'oeil complices que comprendront 1% des spectateurs ? Il joue à quoi en faisant ça, à celui qui a la plus grosse (culture cinéma) ?
Western genre ultime du cinéma ? J'avoue que je ne sais pas. Sans réfléchir, comme ça, je dirais que c'est plutôt le film noir, le bon polar avec une histoire d'amour, un meurtre, une enquête palpitante, des scènes d'action etc etc. Tout ce qu'inglourious Basterds n'a pas, ou alors de manière très forcée et ultra-référentielle qui alourdit l'ensemble.
D'accord en revanche (et évidemment) sur la performance de Christoph Waltz

Julien > oui assez d'accord sur la scène de l'auberge (qui dure 40 min parait-il) que je suis en train de reconsidérer à la hausse. Elle m'a beaucoup marqué alors que j'ai presque déjà complètement oublié le reste. Et merci pour vos retours sur ce modeste (et irrégulièrement alimenté) blog.

ZDC > oui oui oui !

youyouk > même si je ne suis pas d'accord avec vos arguments (per ex, pour moi ce n'est pas gênant qu'un film navigue d'un genre à l'autre), je pense qu'on se rejoint sur le constat final !

Jonathan a dit…

La découverte de ce blog (initialement sur une recherche google de "sexy sushi"), et plus particulièrement de ce billet me pousse à laisser un commentaire...même si on a l'impression qu'"inglorious bastard" a été projetté l'année dernière tellement il laisse peu de souvenirs au final.
Je partage globalement ce qui a été dis ici (jeu d'acteur hallucinant de Christoph Waltz, beauté de certaines scénes mais problème de "digestion" des styles évoqués et surtout surtout un gros problème de rythme).
Mais quelques point de détails m'ont laissé sans réponse :
1. Le jeu de Mélanie laurent et de son petit ami : il m'a semblé assez clair que ce rendu "mauvais doublage" des dialogues était voulu, mais je n'ai pas réussi à savoir pourquoi. Peut être une volonté de théatralisation, que l'on retrouve dans l'esthétique de la scène finale
2. Le dénouement final (qui dure bien une 20aine de minute) est qui ne semble etre juste un prétexte à voir brad pitt graver une croix gamée
en faisant une blague potache
3. Le sujet en lui même (revisité une période glauque de notre histoire) : au final, c'est la première fois que je me suis senti un peu beauf en sortant d'un film de QT
4. Les interviews de QT : soyons clair, on ne l'a pas entendu claironner que son film était une tuerie ou qu'il avait tourné "la meilleure scène d'action de l'histoire du cinéma" comme pour Kill Bill ; et je ne pense pas qu'il s'agit d'un regain de modestie . Ce qui me fait penser qu'il sait qu'il s'est craqué, ne sait en revanche pas trop comment ni pourquoi, et j'espère qu'il saura identifier son problème de rythme qui semble de plus en plus lui faire défaut

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très bonne critique.

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j'aime bien cette critique.

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excellente histoire.

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j'ai eu la chance de lire ton critique.

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