High Fidelity

mardi 10 mars 2009

Stephen Frears, 2000

Pitch : le film raconte les tribulations de Rob, vendeur de disques, obsessionnel de la musique, rétif à toute forme d'engagement et bourré de doutes. Bref, une histoire d'homme. Lisez le livre pour plus de détails !

High Fidelity fait partie de cette réjouissante catégorie de films que j'appelle les feel-good movies, à savoir des films jubilatoires, simples à regarder mais également intelligents, malins et proposant plusieurs degrés de lecture. Je rangerais dans cette catégorie Retour vers le Futur ou Un Jour sans Fin par exemple.

Cette grande réussite n'était pourtant pas gagnée. Pour deux raisons.

Premièrement, John Cusack (acteur principal, co-scénariste, co-producteur et véritable "porteur" du projet) a choisi de placer l'action du film à Chicago. Moi qui suis un fan ultime du livre qui se passe à Londres dans le quartier de Highbury, j'avais vraiment peur que ce déménagement se double d'une américanisation (j'ai bien peur que ce terme soit péjoratif chez moi) de l'histoire. En fin de compte cette transposition fonctionne parfaitement : le film se déroule dans des endroits qui ont l'air bien réels (bars, magasins, parcs), on sent que Cusack a une connaissance profonde de Chicago et surtout, il n'insiste pas sur la localisation, c'est-à-dire qu'on ne nous montre pas de plans appuyés sur des monuments emblématiques de la ville. Cela n'aurait peut-être pas fonctionné dans une ville comme New York qui a une "identité cinématographique" forte. Au final, en extrayant ainsi l'histoire de son cocon, Cusack est très malin : il arrive à nous montrer l'universalité du personnage de Rob Gordon et de ses interrogations maniaco-existentiels.

Suite à une énième rupture, Rob reclasse ses disques non pas chronologiquement, non pas alphabétiquement, mais autobiographiquement. Génial !

Deuxièmement, Stephen Frears a opté pour un parti-pris de mise en scène très risqué, à savoir qu'il casse en permanence le quatrième mur. Au cinéma comme au théâtre, casser le quatrième mur consiste pour un acteur à s'adresser directement au spectateur, en regardant et en parlant à la caméra. J'ai déjà vu ça de manière fugitive dans Annie Hall (scène où Woody Allen fait la queue dans un cinéma), de manière beucoup plus appuyée dans le terrifiant Funny Games de Haneke et de manière beaucoup plus drôle dans les Tex Avery (avec ces pancartes qui s'adressent au spectateur "Funny isn't it?" ou ces toons qui veulent empêcher que l'iris de fin ne se ferme complètement). S'adresser directement au spectateur est pour moi très casse-gueule : le risque est élevé de rompre le contrat narratif entre le spectateur et le film qu'il regarde. Ce procédé n'est d'ailleurs utilisé en général qu'avec parcimonie.

Eh bien, dans High Fidelity, Stephen Frears ne se prive d'utiliser cette cassure du quatrième mur. Même pas de voix off, que du texte recité directement à la caméra ! Pendant un bon tiers du film, John Cusack interrompt l'action et nous conte directement ses états d'âme. Et miracle, magie du cinéma ... ça marche ! A quoi ça tient ? Au-delà du talent d'acteur de John Cusack, au-delà de la simplicité avec laquelle ces scènes sont filmées (ce n'est pas lourdement montré comme dans Funny Games), ce parti-pris fonctionne à merveille car le texte est excellent, drôle, touchant, sensible et tout à fait fidèle au livre.

Ces deux obstacles brillamment franchis, Stephen Frears et John Cusack n'ont plus qu'à dérouler leur immense talent, servis par un scénario en béton, un rythme qui ne redescend jamais et des acteurs complètement crédibles. Évidemment, Jack Black vole un peu le show à chaque fois qu'il apparaît mais d'une part il le mérite largement (ce type a une présence inouïe et illustre bien l'expression bigger than life) et d'autre part il n'empêche pas les autres personnages de s'épanouir. La danoise Iben Hjejle, que j'avais tant aimée dans Mifune, incarne une étonnante Laura, fille de tête, belle et intelligente comme dans un roman mais d'une humanité bien réelle. Elle est à mille lieux de toute forme de cliché féminin. Quant à Todd Louiso, il habite tellement son personnage que, en relisant le livre, je ne peux imaginer personne d'autre que lui pour interpréter le rôle peu évident de Dick, le troisième larron de la bande, timide et nerveux. Enfin, Catherine Zeta-Jones est parfaite dans la peau de la fille dont Rob ne s'est jamais remis, ce genre de superbes filles mi-garces mi-débiles auxquelles on s'attache avec un espèce de masochisme complètement conscient que j'ai encore du mal à m'expliquer. Vraiment, tout cela sonne très juste.

Et en plus il y a une belle histoire d'amour (Iben Hjejle & John Cusack)

Et enfin, évidemment, les dialogues sont fan-tas-tiques : percutants comme un coup de poing, drôles comme du Woody Allen et sensibles comme du Proust. Mais peut-être ne suis-je pas très objectif : High Fidelity est mon livre préféré. Oui je sais, ça serait plus chic de dire que mon livre préféré est Les Souffrance du jeune Werther ou Critique de la raison pure mais je mentirais honteusement en affirmant cela. C'est aussi le livre que j'ai le plus lu, une vingtaine de fois je pense, au point que j'en connais des paragraphes par cœur et que je rêve que Nick Hornby en écrive de nouveaux chapitres. Mais j'essaierai un jour de faire un article complet sur ce chef d'oeuvre d'introspection masculine, qui m'a tant fait rire et qui m'a tant donné l'impression de parler de moi moi moi.

Vous trouverez plein de ces dialogues percutants ici. Et en voici mon top 5 provisoire :
Rob: It would be nice to think that since I was 14, times have changed. Relationships have become more sophisticated. Females less cruel. Skins thicker. Instincts more developed. But there seems to be an element of that afternoon in everything that's happened to me since. All my romantic stories are a scrambled version of that first one.
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Rob: Why'd you have to tell her about the store?
Barry: Oh, I'm sorry, I didn't know it was classified information. I mean, I know we don't have any customers, but I thought that was a bad thing, not like, a business strategy
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Rob: Should I bolt every time I get that feeling in my gut when I meet someone new? Well, I've been listening to my gut since I was 14 years old, and frankly speaking, I've come to the conclusion that my guts have shit for brains.
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Barry: Oh, that's not obvious enough Rob. How about the Beatles? Or fucking... fucking Beethoven? Side one, Track one of the Fifth Symphony... How can someone with no interest in music own a record store?
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Rob: Hey, I'm not the smartest guy in the world, but I'm certainly not the dumbest. I mean, I've read books like "The Unbearable Lightness of Being" and "Love in the Time of Cholera", and I think I've understood them. They're about girls, right? Just kidding. But I have to say my all-time favorite book is Johnny Cash's autobiography "Cash" by Johnny Cash.

Bref, High Fidelity le film, triomphant avec brio de la difficulté d'adapter un best-seller et des obstacles qu'il s'est lui-même imposés, vous apportera 90 minutes de pur plaisir cinématographique. A voir absolument.

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2 commentaires:

N./ a dit…

J'ai passé un excellent moment devant! Et le mec qui joue "le gros" est le même acteur que dans S'il-vous-plaît rembobinez (Black qqch...) vu la veille...

Marivaudage a dit…

N./> Son nom est Jack Black. J'aime beaucoup cet acteur : dans King Kong de Peter Jackson (celui qui est sorti il y a pas longtemps), il porte quasiment le film à lui tout seul. Il a une présence dingue.

En tous cas, content que ce film puisse plaire même à la gente féminine.

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