Alexandre Dumas, 1848, 1455 pages
Quelques mots sur Le Comte de Monte-Cristo que je viens de lire pour la première fois. Votre serviteur n'a aucunement la prétention d'en faire une critique approfondie - étant à mille lieux d'avoir les armes littéraires suffisantes pour disserter proprement sur ce classique. Alors .... que dire ?
Et bien, à défaut d'avoir un style époustouflant et un propos percutant, je trouve que Dumas parvient brillamment, de rebondissements en scènes épiques, à tenir en haleine son lecteur. Le Comte de Monte-Cristo semble avoir été écrit pour illustrer l'expression "se lire comme un roman".
Au-delà de ce premier constat basique, la lecture de cet ouvrage m'a permis d'approfondir et de clarifier un concept qui n'était pas encore formé très clairement dans mon esprit. De manière générale, on retrouve ce "concept" chez les héros de fiction, que ce soit en littérature, au cinéma, en bande dessinée ou même dans la mythologie. Le concept dont je parle est celui des héros inhumains.
Qu'entends-je par héros inhumain ? Il s'agit d'un personnage monolithique, sur lequel le déroulement du livre (ou du film) ne semble pas avoir prise. D'ailleurs, rien n'a prise sur le héros inhumain. Ni le temps, ni les autres personnages, ni même les circonstances. Un héros inhumain ne dévie pas d'un iota d'un bout à l'autre de l'histoire. Par son manichéisme, par sa prévisibilité, par son absence d'aspérité qui me permettrait de m'y "agripper', un héros inhumain a tendance à m'ennuyer. Dans Le Comte de Monte-Cristo, la multiplication des héros inhumains est le principal reproche que je pourrais adresser à ce livre.
Mais il est sans doute plus facile de définir le héros inhumain par l'exemple. Le Comte de Monte-Cristo, alias Edmond Dantés, est évidemment inhumain - en dehors des 200 premières et 200 dernières pages. Pendant tout le gros du bouquin donc, notre héros est vraiment un Jedi dans toutes les catégories : il est omniscient, parle toutes les langues et écrase tout le monde par sa grandeur. Quand il s'entraîne au pistolet, il ne rate jamais son coup. Quand il achète un cheval, c'est le plus racé de tout le pays. Quand il reçoit à diner, il sert les mets les plus exquis. Il a toujours la réplique qui tue et n'est jamais pris en défaut sur aucun sujet. C'est dommage ! J'aimerais tant le voir bafouiller, hésiter, se prendre les pieds dans le tapis ou tomber sur une pomme pourrie parmi ses corbeilles de fruits exotiques.
Mais après tout, pourquoi pas, l'inhumanité du comte de Monte-Cristo (par opposition à Dantès qui est un humain comme vous et moi) est un peu l'idée centrale du livre : la méchanceté des hommes l'a rendu ainsi. Ça m'ennuie mais j'accepte le principe. Ce qui me gêne un peu c'est qu'on trouve également autour de lui beaucoup (trop) de personnages inhumains. Le serviteur Ali est l'homme le plus fort du monde, dévoué au-delà de l'entendement et ne rate jamais la moindre action qu'il entreprend. Son esclave Haydée est la plus belle des femmes, la plus raffinée, la plus intelligente et elle ne dit jamais un mot de travers ou ne rote à table. La jeune Valentine de Villefort est bonne comme du bon pain, d'une douceur infinie et ne sera jamais traversée par la moindre pensée impure. Morrel gardera une pureté de cœur extrême sur 1500 pages etc etc. Ad nauseam. Du coup, j'ai tendance à m'intéresser aux méchants qui me paraissent un peu plus humains et donc presque plus sympa.
Je pense qu'Alexandre Dumas avait sous les yeux un dictionnaire des superlatifs pour écrire son livre. On a parfois envie de lui dire "Bon OK, on a compris, pas la peine d'en rajouter des tonnes. Raconte-nous plutôt des histoires et des péripéties ! "
Et attention, un héros inhumain n'a rien à voir avec un héros irréaliste. Ainsi que je l'ai déjà dit dans ces pages, je suis toujours friand d'un artiste (cinéaste, écrivain) qui déforme la réalité pour illustrer un propos. Le réalisme m'importe peu. Certains super-héros par exemple ont des super-pouvoirs et restent humains dans le sens où ils doutent, tâtonnent et avancent de manière non linéaire. Spiderman en est une bonne illustration.
Donc peu importe le réalisme. Je suis prêt à accepter des histoires abracadabrantes du moment que les personnages suscitent de l'attachement, de la compassion, de la compréhension, de l'identification ou au contraire de la répulsion, du dégoût, du rejet. Tous ces sentiments, positifs comme négatifs, font vivre le spectateur/lecteur et ne sauraient être suscités par les robots que sont les personnages inhumains. Ceux-ci, par l'immuabilité de leurs comportements, ne sont que des éléments du décor, des circonstances. Et donc insuffisants pour insuffler de la vie dans ces œuvres.
L'ingénieur que je suis trouve qu'il vaut mieux illustrer tout cela par un bon tableau à deux entrées.
Héros inhumains (qui en général m'ennuient) | Héros humains (qui en général m'intéressent) | |||
Littérature | - Le comte de Monte Cristo - Tous les personnages des livres d'André Malraux, y compris et surtout lui-même | - Arsène Lupin - Cyrano de Bergerac - Julien Sorel (Le Rouge & le Noir), Georges Duroy (Bel-Ami), Madame Bovary, Rob Fleming (High Fidelity) | ||
Cinéma | - Luke Skywalker - Tous les gars du Seigneur des Anneaux et en particulier Orlando Bloom - Capitaine Conan et plus généralement les personnages interprétés par Philippe Torreton - Sarah Connor - Le Capitaine Fracasse et de manière plus générale, tous les héros de films de cape et d'épée des années 50 interprétés par Jean Marais ou Gérard Philippe - James Bond la plupart du temps | - Dark Vador - Spiderman (je parle des trois films récents) - Tous les personnages des films de Rohmer - Les filles de Sex & The City - HAL dans 2001 Odyssée de l'Espace - Big Lebowski et puis, par extension, tous les vrais gens de la vraie vie, en dehors de Clovis Cornillac et Marc-Olivier Fogiel bien sûr | ||
BD | - Largo Winch - Buck Danny, et son pote Tumbler | - Tintin - Adèle Blanc-Sec | ||
Mythologie | - Jésus de Nazareth - Antigone | - Orphée (mais pourquoi s'est-il donc retourné, le bougre d'âne) - Achille, Zeus |
Bref, Le Comte de Monte-Cristo, c'est un excellent livre de vacances mais je crois que je l'ai découvert à un âge un peu trop avancé pour ne pas être gêné par l'inhumanité du héros.
3 commentaires:
* Inhumain? Justement, toute sa trajectoire, de la vengeance froide au pardon révèle son humanité. Bon, en tout cas, tu penseras à me le rapporter mon comte :-). Biz
Assez d'accord avec toi sur le fond, même si j'aurai plutôt substitué à ton idée de "héros inhumain" celle de "héros surhumain" (même s’il y a une certaine redondance), c'est-à-dire un personnage qui par ses compétences intellectuelles, morales ou physiques se retrouvent propulsé au-dessus des autres hommes. "Inhumain" renvoie davantage à l'absence d'humanité, de sentiment, de compassion - et Dantès, à cet égard, est très humain. Maintenant il est vrai que Dumas, tout heureux d'avoir inventé son grand héros romantique, prométhéen et inaccessible, le contemple un peu trop longtemps, au risque de lasser son lecteur. Difficile à mon sens d'accrocher au deuxième tome... Mais il ne faut pas oublier non plus que la plupart des romans du 19e siècle étaient destinés à être publiés en épisodes dans des revues (le fameux roman-feuilleton), et que les écrivains étaient payés à la page... En tous cas merci pour cette critique, très intéressante comme d'habitude, et vivement les prochaines !
N./ > Mmmh ... pas tout à fait d'accord sur le pardon. Après avoir tué tout le monde, à qui peut-il encore pardonner ? Surement pas à Mercedes. Après l'avoir ruinée et déshonorée, c'est limite si il ne la traite pas de pute. Et quoi, il aurait voulu qu'elle se suicide ou qu'elle rentre au couvent en attendant un retour complètement improbable de son fiancé ?
C'est vrai qu'il a des doutes sur la fin, des interrogations - qui le rendent un peu attachant mais qui ne suffisent pas pour moi à effacer son côté Terminator.
Devin> Merci pour ton commentaire et bienvenue par ici !
Je crois que tu as tout à fait raison sur la distinction surhumain / inhumain. Je n'ai pas été très précis dans mon billet.
Dans un registre nettement moins littéraire, je pense par exemple que Spiderman est un héros surhumain (par ses super pouvoirs) et humain (par ses sentiments). Pendant la plupart du livre, Le Comte de Monte-Cristo me paraît être toujours surhumain (ce qui est lourdement appuyé), souvent inhumain (quand il est Monte Cristo), plus rarement humain (quand il est Dantès).
Je trouve qu'il traverse comme un robot la société dans laquelle il évolue : il est insaisissable, incapable d'émotion (sauf quand il se rend chez les Morrel ou qu'il se prend d'affection pour le vieux Villefort et Valentine).
Tout à fait d'accord sur l'ébahissement de Dumas devant son propre héros - on sent qu'il y a projeté tout ce qu'il rêvait d'être lui-même. La frustration et la jalousie suintent - particulièrement dans le tome II
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