Orfeu Negro

lundi 12 avril 2010

Marcel Camus, 1959

Encore un grand classique que je découvre bien tardivement. Le genre de films où l’on se dit « Mais pourquoi ai-je attendu aussi longtemps ? ». Mais bon, dans 10 ans je serai probablement encore en train de me lamenter de voir beaucoup trop tard tel ou tel chef-d’œuvre multi-encensé. Plus j’avance dans ma découverte des films, plus il me semble que les frontières reculent et que la richesse du cinéma est insondable. Tant mieux.

Donc, Orfeu Negro, Palme d’Or à Cannes en 1959, est un film français de Marcel Camus (et non d’Albert comme je le croyais jusqu’à ce jour … hum), transposition dans le Rio actuel du mythe antique d’Orphée aux enfers.

Pendant les toutes premières minutes, j’ai eu peur qu’Orfeu Negro ne soit qu’une espèce de carte postale d’un français en goguette à Rio qui tomberait amoureux de ce pays à tel point que son film n’aurait aucune nuance et aucun discernement. En lisant quelques articles sur le Web, c’est d’ailleurs une critique qu’on retrouve souvent : on remercie Marcel Camus d’avoir fait découvrir la bossa nova au monde occidental mais on lui reproche d’avoir une approche légèrement condescendante à l’égard de la culture noire brésilienne. En bref, on l’a accusé d’avoir un peu la même ligne éditoriale que ces crétins du Guide du Routard (« dont les têtes de cons s’étalent en 4ème de couverture » … dans mes bras Michel Houellebecq !).

Comme pour Tout ce qui brille (eh oui !), je ne suis pas du tout d’accord avec cette approche critique qui restreint le film à un propos de société ou à un clash fantasmé entre deux cultures trop différents pour que l’une puisse être représentée par l’autre sans taxer son auteur de vilaines arrière-pensées. Encore une fois, je m’en fous complètement. Le film raconte de manière tellement belle une histoire tellement universelle, mythologique en l’occurrence, que ces propos de pisse-vinaigre passent complètement au-dessus de moi, si je puis me permettre une telle image (en me relisant, et en y réfléchissant, je me dis que j’ai peut-être tort de n’évaluer un film qu’à ses qualités purement cinématographiques et que je devrais être un spectateur un peu plus citoyen - mais je dois avouer qu’une telle approche m’ennuie terriblement, en bon épicurien égoïste que je suis).

Donc au diable les moralisateurs, le film est splendide visuellement, traversé d’images oniriques (ah cet escalier circulaire qui descend aux Enfers !), le tout baignant dans de belles couleurs chaudes. La musique est également envoûtante mais au final ce sont les destinées de ces personnages qui m’ont enthousiasmé. De toutes façons, dès qu’il y a des jeux amoureux basés sur des masques et des travestissements, bref, dès qu’on baigne dans du Marivaux, je craque complètement. On a beau connaître le mythe d’Orphée et Eurydice et savoir que tout cela va mal se terminer, on s’attache immédiatement à cette histoire d’amour tant les protagonistes sont aimables. Marpessa Dawn est d’une beauté juvénile saisissante, d’abord tout en retenue dans son ingénuité et ensuite extrêmement sensuelle lorsqu’elle danse. Et Breno Mello est vraiment touchant de bout en bout.


Le plus beau moment est peut-être tout simplement la scène finale (ci-dessus), poétique, sublimée par la musique, et débordante d’optimisme après la tragédie que nous venons de vivre. Une scène étonnante de simplicité et de pureté qui illustre si bien cette philosophie que j’aime tellement retrouver au cinéma : « Vivre malgré tout ».

La Polizia Chiede Aiuto

dimanche 11 avril 2010

Un jour peut-être, j'aurai un peu de force et un peu d'inspiration pour pouvoir vous parler comme il se doit du plus beau film de l'année, de la décennie même si Mulholland Drive n'avait pas existé. Les personnes qui m'ont fréquenté et supporté depuis quelques mois savent que je parle de AMER, l'extraordinaire et inattendu chef-d'œuvre d'Hélène Cattet et Bruno Forzani.

En attendant ce jour, et pour ne pas vous laisser en reste, voici donc le sublimissime titre de Stelvio Cipriani qui accompagne si bien ce film. Docteur, est-ce grave de l'écouter 675 fois par jour depuis bientôt deux mois ?








Stelvio Cipriani - La Polizia Chiede Aiuto

Et bon allez, tant qu'on est dans les superlatifs, la montée en puissance, à 0'55 de la chanson, correspond, dans le film, au plus beau moment de cinéma que je n'ai jamais vécu. Ces gros plans sur les cheveux, le chapeau, le décolleté sont d'une beauté inouïe, d'une sensualité ahurissante. Je ne trouve pas les mots, je ne m'en remets pas.

Les Chaussons Rouges

jeudi 8 avril 2010

Red Shoes
Michael Powell & Emeric Pressburger, 1949


Le premier Powell/Pressburger que je vois, et sans doute pas le dernier.

Tout comme comme A Star is Born & Singing In The Rain, que j'ai vu et revu tout récemment, Red Shoes est un film musical qui montre les coulisses du show-business. C'est amusant, il semble que cette typologie de film comporte une trame cyclique récurrente : exposition d'une star (de cinéma, théatre ou ici ballet), déchéance de cette dernière au profit d'une nouvelle étoile montante, love story entre cette nouvelle star et un protagoniste-clé (ici le compositeur/chef d'orchestre) et puis, variante possible, nouvelle déchéance ou happy end. En l'écrivant, je me rends compte que c'est aussi le pitch de All About Eve.

Voilà bien un inconvénient à regarder trop de films : on finit par les disséquer, les comparer, les ranger dans des cases et au final on prend le terrible risque d'en ôter la magie. C'est MAL.

Quoiqu'il en soit, la magie du cinéma, celle qui me fait toujours courir, a opéré à plein pendant la scène centrale, à savoir la représentation des Chaussons Rouges le ballet au sein des Chaussons Rouges le film. Cette fascinante mise en abîme d'une trentaine de minutes est d'une inventivité et d'une grâce inoubliables. Powell & Pressburger s'écartent très vite du simple cadre d'un ballet filmé : le champ s'élargit, les décors deviennent gigantesques, l'onirisme et le fantasme s'immiscent et on ne peut que rester bouche bée devant une telle beauté. Remplacer une vague d'applaudissements par une vraie vague de la vraie mer est une idée aussi audacieuse que géniale. Et quand Moira Shearer agite ses petits pieds pour se débarrasser de ses chaussons, je vous défie de ne pas fondre devant une telle grâce.

Après un tel climax, la fin du film est un tantinet moins enchanteresse. Certes j'ai également jubilé devant cette idée très astucieuse (et pas trop appuyée) de transposer la trame du conte d'Andersen dans la vie de notre danseuse-étoile mais bon, le rythme s'étiole quelque peu.

Soulignons enfin que l'image, en Technicolor, est absolument superbe ; le film a été restauré tout récemment, avec le concours de Martin Scorsese d'ailleurs, et méritera largement une 2e vision. Courez le voir chers lecteurs.

Holiday

mercredi 7 avril 2010

Vacances
Georges Cukor, 1938


Hésitant entre ce film et Les Poings dans les Poches qui a l'air pas mal mais un peu plombant, j'ai demandé conseil à l'ouvreuse : "Bah je sais pas trop, Holiday c'est une comédie ...". Banco alors. Je l'ai crue, la menteuse d'ouvreuse, Holiday n'est pas selon moi une comédie, en tout cas pas une screwball comedy, comme le laissait entendre son casting (Cary Grant + Katherine Hepburn). J'ai peu ou pas ri. Les scènes sensément drôles ne le sont pas vraiment et les dialogues ne sont pas aussi étincelants que chez Lubitsch ou McCarey.

En fait voilà, Holiday m'a plutôt fait penser à une fable à la Capra, à savoir une histoire trop belle pour être vraie mais suffisamment bien foutue pour qu'on soit touché par l'universalité du propos. Le propos ici, c'est "Trace ta route, suis ton chemin, écoute ton corps, écoute ta soif" (en gros). Avec une happy end à la clé.

J'avoue avoir été vraiment ému par la scène du réveillon pendant laquelle Cary Grant et Katherine Hepburn, après avoir joué au chat et à la souris depuis le début du film, se retrouvent seuls, silencieux, soudain maladroits, réalisant enfin à quel point ils sont destinés l'un à l'autre et ne sachant comment passer à la suite, bloqués par les convenances sociales.

Cary Grant est comme toujours parfait mais la vraie étoile de ce film est évidemment Katherine Hepburn, d'une classe et d'une vitalité folles. A tomber. Personnage intéressant du frère, alcoolique, touchant, faible et prenant toujours la tangente - le genre de caractère très humain auquel il est si facile de s'identifier. Très bon film au final, je n'ai pas insulté l'ouvreuse en sortant.

Tout ce qui brille

samedi 3 avril 2010

Géraldine Nakache, 2010

Comme le dit bien l'ami hal9100 (dont je vous invite à découvrir le blog tout juste éclos, alerte et drôle), il ne fallait pas se fier à la bande-annonce pour se faire une idée juste de Tout Ce Qui Brille. Ce qu'on pouvait craindre être une énième comédie pas drôle et agaçante s'avère être un vrai régal.

En lisant ici ou là un peu de littérature au sujet de ce film, j'ai lu qu'on lui collait souvent l'étiquette réductrice de "film de banlieue". Je ne suis pas du tout d'accord avec ça.

Pour faire simple, je crois que j'en ai rien à foutre de cette histoire d'ascenseur social ou d'un supposé choc des civilisations entre Puteaux et le XVIe arrondissement. Si c'est effectivement le propos du film, ce n'est en tous cas pas ce que j'ai vu ni apprécié. Pour moi, le film raconte tout simplement l'histoire de deux jeunes filles, de leur amitié et de leur quête d'accomplissement de soi. Et si le film arrive à transcender le cadre social dans lequel il se situe, c'est tout simplement parce-qu'il est juste et réussi. Dans une plus forte mesure, et pour prendre un film comparable, j'avais eu la même impression d'universalité-de-propos-qui-sublime-le-contexte avec L'Esquive.

Tout Ce Qui Brille est réussi en grande partie grâce à ses trois comédiennes principales (j'inclus Audrey Lamy en plus de Géraldine Nakache et Leïla Bekhti). Elles sont tout simplement vraies, vivantes, imparfaites (pas super belles, un peu connes parfois, souvent menteuses), bref très attachantes. Les dialogues sont drôles, surtout quand ils sont débités à deux ou trois voix (et à la mitraillette). En plus du texte, on a droit à du vrai comique de situation (l'arrivée d'Audrey Lamy dans le restaurant, la mère qui enfile son vison lorsque les riches débarquent), à du suspense (les scènes d'attente devant le digicode) et même à une certaine épaisseur psychologique via ces scènes familiales, émouvantes (arrivée du père en taxi devant sa fille et ses nouvelles copines) bien que parfois un peu trop appuyées.

Bon ensuite, tout n'est pas parfait. Les personnages périphériques (les riches donc) sont un peu taillés à la truelle, l'intrigue hoquète au bout d'une heure, certains gags tombent à plat mais, ainsi que le dit Rob Gordon, on a envie de tout pardonner à ces filles si attachantes, qui se prennent plein de coups et plein de pieds dans le tapis mais qui gardent une vitalité à toute épreuve.

Et tout comme smwhr (que de name-dropping dans ce billet), j'ai succombé à la vidéo de la chanson phare du film. D'ailleurs, à 30 secondes, les images qu'on voit sont extraites de ce que j'ai trouvé être la plus belle scène du film.


Alors oui la chanson est une reprise de l'épouvantable Véronique Sanson (raaaah !), oui il y a des fautes de français atroces ("je fais ce QUE j'ai envie" - raaaaah) et oui cette vidéo est en permanence à deux doigts d'être mièvre, agaçante et idiote. Mais en fin de compte ça fonctionne, sur le fil du rasoir (ce qui est souvent le propre d'une chanson qui suscite l'adhésion). Tout comme dans le film, le naturel de ces filles emporte toute critique que je pourrais émettre. C'est vraiment le genre de choses qui me rappellent pourquoi je suis, a priori, amoureux de toutes les filles - je verrais assez mal des garçons interpréter cette chanson avec un premier degré si désarmant.

Si Les Porcs Avaient Des Ailes

jeudi 1 avril 2010

(... on les appellerait des aéroporcs ?)
Porci Con Le Ali
Paolo Pietrangeli, Italie, 1977


Film vu complètement au hasard à la Cinémathèque, sur la seule foi de son pitch.

Nous sommes en Italie à la fin des années 70 et nous suivons les tribulations d'un jeune couple d'étudiants, Antonia et Rocco. Ils s'aiment un peu, font l'amour, se disputent, se séparent, se parlent à nouveau - le tout dans un contexte universitaire associatif fortement politisé (et très à gauche).

Comme toujours lorsque je ne suis pas emballé par un film, je cherche d'autres œuvres qui lui ressemblent. Là, j'ai donc trouvé un mélange de La Maman et la Putain, pour le côté post-68 désenchanté, et de Je Suis Curieuse (ce film suédois dont j'avais parlé ici), pour sa description d'un couple rendu intenable en raison de l'utopisme de ses protagonistes. Tout comme Je Suis Curieuse, le film est assez explicite dans son traitement de la sexualité : les mots sont crus, les plans frontaux. Et assez rapidement, le propos politique s'efface devant le constat que les idéaux sociétales et sexuels de "cette" jeunesse sont incompatibles avec une histoire d'amour exclusive et passionnée.

Antonia revendique une vraie décontraction dans l'approche de sexualité mais, assez vite, elle se plaindra de n'être "qu'un trou, un orifice, un entonnoir" pour Rocco. Celui-ci vit par ailleurs une intéressante schizophrénie ; belle scène où il répond à ses propres questions, via un magnétophone, seul sur son lit avec ce miroir entêtant et qui ne cesse de le regarder. On trouve d'ailleurs ici et là de beaux moments de mise en scène : les filles discutant sur des fauteuils dans un camion, Rocco s'imaginant qu'Antonia le trompe avec son mentor devant toute une assemblée, Rocco et une fille marchant le long d'immenses baies vitrées dans un entrepôt désaffecté. L'atmosphère ultra-urbaine du film est assez esthétique.

Mais au final, c'est un vrai désenchantement que nous montre ce film, pour lequel il est donc difficile de s'enthousiasmer. Paolo Pietrangeli semble nous dire : vous aurez beau rêver, vous resterez des porcs et de toutes façons, à l'image du sexe de Rocco (que l'on voit beaucoup dans le film), la chair est triste et flasque.