La rupture en chansons

lundi 22 juin 2009

Ah les joies d'une bonne vieille rupture. Tout cela est très banal mais on y trouve toujours de grands moments de rock'n'roll. Laissons-nous donc accompagner, dans chacune des étapes de ces moments de notre existence, par des petites perles de pop music . "It builds character" comme disait le père de Calvin.
PS : ce texte n'est lié à aucune actualité précise :-)

Etape 1 : Les gros doutes
Où l'on sent que la personne en face n'est plus tellement à fond. La boule que l'on a au fond de la gorge commence dangereusement à descendre vers l'estomac. La peur gagne. A ce sentiment se rajoute parfois un intolérable doute : ai-je déjà été remplacé par un AUTRE ? Cette perte de confiance ne fait en général qu'accélérer l'inéluctable dénouement.
Ce sentiment est fort bien illustré par cette interminable et si belle chanson de Rare Earth : (I know) I'm losing you.
Your love is fadin', I feel it fade
Ah, your love is fadin', I feel it fade
Ah, your love is fadin', woman I feel it fade

Ah, woman, woman your touch, your touch has gone cold
As if someone else controls your very soul
I've fooled myself long as I can
Can feel the presence of another man

It's there when you speak my name
It's just not the same
Ooo babe, I'm losing you
It's in the air
It's there everywhere
Baby, baby, babe, I'm losing you







Rare Earth - (I Know) I'm Losing You

Ca rigole, ça rigole mais ça chante aussi des textes diablement tristes
A ce stade, matériellement, peu de choses ont encore changé mais bon, ça commence à sentir le sapin. "Elle n'y est plus" et il faut commencer à se préparer au pire. Ce qu'il y a de bien avec les Beatles, c'est qu'on trouve toujours une chanson d'eux qui colle exactement à notre état d'esprit amoureux. Dans la phase de gros doute, For No One est parfaite.
Your day breaks, your mind aches
You find that all her words of kindness linger on
When she no longer needs you

She wakes up, she makes up
She takes her time and doesn't feel she has to hurry
She no longer needs you

And in her eyes you see nothing
No sign of love behind the tears
Cried for no one
A love that should have lasted years

You want her, you need her
And yet you don't believe her when she says her love is dead

You think she needs you
And in her eyes you see nothing
No sign of love behind the tears
Cried for no one
A love that should have lasted years

You stay home, she goes out
She says that long ago she knew someone but now he's gone
She doesn't need him












The Beatles - For No One



Etape 2 - Le déni ou les tentatives foireuses de rattrapage
A cette étape, la rupture est tombée comme la lame d'une guillotine mais tout cela a été si brutal et on n'était en fin de compte si peu préparé qu'on commence par nier la situation et qu'on essaie de la rattraper par des tentatives de récupération qui sont irrémédiablement vouées à l'échec. C'est l'étape qu'on regrette le plus par la suite, où socialement, on touche le fond du ridicule et de l'aveuglement

Cette superbe chanson de Pulp, Don't you want me anymore?, raconte fort bien cette période de refus de la réalité.
A 0'45, Jarvis Cocker prend tranquillement son train dans le but de reconquérir sa belle
Now I'm two hours from the station.
Yeah I'm coming home again.
I'm gonna show this time who's master - as soon as I get off this train
You're gonna love me more than ever,
and the sun will shine again.
And I will kiss your face,
and I will make you smile again
A 2'45, la confrontation avec la réalité va lui mettre une terrible claque (car il y a un AUTRE, l'abject autre, celui qui va être à l'origine d'horribles nuits blanches)
And I can't, I can't believe it's happening.
I know that, oh there must be some mistake.
You found yourself another lover,
and you're glad we made the break.

Oh you don't even, you don't even want to see me.
You just wanna wave and say "Goodbye.
Go away now, and leave us alone,
No this house is not your own"
Et tout le monde se moque du pauvre Jarvis
And now the whole damn town has come on out to laugh at me.
Oh yeah.
Oh they can stare for evermore; you do not care for me.
Oh no.
Oh they can stare now for a hundred thousand years.
Don't you want me anymore?







Pulp - Don't You Want Me Anymore?


Etape 3 - La réalité en pleine gueule
OK, là on a compris, on n'est pas encore terrassé mais on a déjà un genou à terre. La réalité de la rupture apparaît maintenant clairement. On comprend qu'on va devoir se battre contre un terrible ennemi : l'irrémédiable absence de notre ex-moitié.


C'est aussi à ce moment-là qu'on partage ses affaires, les CDs, les photos, les bouquins et qu'on la voit nous rendre des cadeaux qui avaient pourtant été spécialement choisis pour elle ("Non, non je te le rends. Pour moi, ça t'appartient"). Certes, le dégoût nous envahit mais on fait bonne figure. On sent bien qu'il faut passer à autre chose. "Oublie-moi !", semble ainsi chanter les Strokes sur ce superbe titre.
I want to be forgotten,
and I don't want to be reminded.
You say "please don't make this harder."
No, I won't yet.

I wanna be beside her.
She wanna be admired.
You say "please don't make this harder."
No, I won't yet.
Suivi d'un terrible "You don't miss me, I know." (à 1'30)







The Strokes - What Ever Happened?

Et ABBA nous rappelle par cette chanson sublime (ma préférée de ce groupe phénoménal, que j'ai viré depuis bien longtemps de mes plaisirs coupables), qu'une relation amoureuse peut être vue comme un jeu à l'issue duquel le gagnant prend tout et le perdant n'a plus que ses yeux pour pleurer (avec, pour une fois, un point de vue féminin).
I don't wanna talk
About the things we've gone through
Though it's hurting me
Now it's history
I've played all my cards
And that's what you've done too
Nothing more to say
No more ace to play

The winner takes it all
The loser standing small
Beside the victory
That's her destiny
Et, à 2'20, ce terrible passage sur l'AUTRE où la chanteuse crève de jalousie tout en essayant de rester digne
But tell me does she kiss
Like I used to kiss you?
Does it feel the same
When she calls your name?

Somewhere deep inside
You must know I miss you
But what can I say
Rules must be obeyed







ABBA - The Winner Takes It All


Etape 4 - La loose totale
L'étape 3 était un peu le dernier éclair de lucidité, une espèce de sursaut de dignité guidé par l'instinct de survie, avant que toute estime de soi ne soit balayée par la loose auto-destructrice que représente l'étape 4. Le sentiment qui domine est alors le rejet. Dans ces moments, la commune mesure et la modération n'ont plus droit de cité dans notre esprit démoli. On est une merde et on est presque content de l'être.

Une attitude à adopter, proposée par Jarvis Cocker toujours (sur le bien-nommé album Separations de Pulp, dont j'aurais pu prendre toutes les chansons une par une pour illustrer cet article), consiste à boire, sortir et rencontrer d'autres filles. C'est la réaction la plus simple mais pas toujours la plus constructive. En tout cas, on met souvent son foie et son portefeuille en péril.
Oh now the lonely nights begin and
there is nowhere left to go
But watch my spirit melt away, down at the D-I-S-C-O
I must have died a thousand times
The next day, I was still alive
And I still believe in you
Yes I do
Let's do it now
Et plus loin, à 2'45, les paroles que je préfère de cette chanson magnifique
Alright you can go out and make love to
whoever, or whatever you like babe
So I go out and fill my eyes with other women
Oh they look good to me and I think that I might kiss them

Oh now it´s 2 a.m. and I´m still stood here waiting
So I go home and wonder why I bother going







Pulp - Death II

Ensuite, un peu d'auto-apitoiement ne faisant jamais de mal dans ces moments-là, on peut se réfugier comme Morrissey dans une posture romantique où l'amour n'existerait plus qu'en rêve.
Last night I dreamt
That somebody loved me
No hope, no harm
Just another false alarm


Last night I felt
Real arms around me
No hope, no harm
Just another false alarm







The Smiths - Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me

Et suivons Fischerspooner dans leur logique jusque-boutiste : tant qu'à faire, dans ces périodes d'hyper-loose, autant se considérer comme une catastrophe naturelle, ce qui permet d'expliquer à moindres frais tous les échecs passés. De toutes façons, je suis un raté alors à quoi bon lutter ?
All alone...
I've gone out
So many nights
Nobody's there
Lost and wasted
Why am I alone?
Who made me this way?
Na-tural disaster...







Fischerspooner - Natural Disaster


On peut enfin se lancer à corps perdu, tel Fuzzati du Klub des Loosers (quel nom pour un groupe composé d'une seule personne !), dans un dégoût de soi et du monde, cette fois-ci sous un angle trash, outrancier et suicidaire. Et donc extrêmement drôle au final. A partir d'une minute :
Bizarrement, le Klub des Loosers semble plaire à quelques personnes
Ils ont fortement apprécié mon sens de l'autodérision
Je me demande ce qu'ils diront en apprenant que mon corps pourrit lentement à une corde
Ca c'est mon sens de l'autopendaison
etc etc ... tout le texte est vraiment drôle mais un peu trop long pour être intégralement recopié ici.








Klub des Loosers - Il faut qu'on parle

Etape 5 - La résurrection
Un matin, on se lève et on n'a plus envie de vomir - sans forcément qu'on trouve une explication rationnelle à ce retournement de situation. Ou peut-être était-on ainsi depuis quelques semaines mais on avait tellement l'habitude de dire "C'est la loose, je déprime à mort" qu'on avait arrêté d'analyser objectivement notre état. Bref, le monde nous apparaît alors comme un territoire verdoyant à explorer, on rencontre de nouvelles personnes, le soleil brille et on retrouve 20 € au fond de sa poche pour offrir une caïpirinha à cette belle inconnue.
Comme le chante cette fille sur ce titre enthousiasmant de The Avalanches : "Since I left you / I've found the world so new".







The Avalanches - Since I Left You

Etape 6 - La nostalgie
Les années passent, l'eau coule sous les ponts, certes les plaies ne se referment jamais vraiment mais elles ne saignent plus et on peut regarder en arrière avec une certaine sérénité : la haine de soi et des autres a disparu, les remords ardents se sont transformés en doux regrets, les erreurs commises nous apparaissent clairement (ce qui ne veut pas dire qu'on n'en fera plus : ça serait trop simple !).
C'est l'heure de la sagesse (point de vue optimiste) ou de la résignation (point de vue pessimiste) et on peut alors chanter avec Charles Trénet : que reste-t-il de nos amours ?
Que reste-t-il de nos amours ?
Que reste-t-il de ces beaux jours ?
Une photo, vieille photo
De ma jeunesse
Que reste-t-il des billets doux
Des mois d'avril, des rendez-vous
Un souvenir qui me poursuit
Sans cesse
Bonheur fané, cheveux au vent
Baisers volés, rêves mouvants
Que reste-t-il de tout cela ?

Dites-le moi







Charles Trénet - Que reste-il de nos amours ?

Et cela me permet de terminer sur une note cinéphile : le titre de Baisers Volés de François Truffaut est un hommage à cette chanson de Charles Trénet.

La grande question de Rob : What came first, the music or the misery?

Tout cela n'est pas très gai, me direz-vous. Peut-être, mais pour les amateurs de pop music, il y a des circonstances atténuantes à cette vision des choses, ainsi que l'explique très bien ce cher Rob Fleming (mon héros, à qui je dédicace cet article) :
(...) some of these songs I have listened to around once a week (..) since I was sixteen or nineteen or twenty-one. How can that not leave you bruised somewhere? How can that not turn you into the sorts of person liable to break into little bits when your first love goes all wrong? What came first, the music or the misery? Did I listen to music because I was miserable? Or was I miserable because I listened to music? Do all those records turn you into a melancholy person?
People worry about kids playing with guns, and teenagers watching violent videos (...). Nobody worries about kids listening to thousands - litterally thousands - of songs about broken hearts and rejection and pain and misery and loss. The unhappiest people I know, romantically speaking, are the ones who like pop music the most."
Nick Hornby in High Fidelity (Penguin Fiction, p.19)

Ouf !

[Musique] Top 5 des plaisirs coupables

jeudi 18 juin 2009

5 chansons que j'adore contre vents et marées. 5 chansons que j'aurais toutes les raisons de détester. 5 chansons qui vont à rebours de toutes les règles de bon goût que je me suis fixées depuis tant d'années.

C'est parti pour un petit coming out musical.

1. Supertramp - School
Note de culpabilité : 9/10
Note de plaisir : 7/10
Les raisons qui devraient me faire détester :
  • Le côté radicalement anti-glamour et anti-sexe de ces ahuris de Supertramp avec leurs T-shirts tout moches et leurs barbes pas nettes (et ce gilet !)
  • Une certaine prétention très pink-floydienne dans la construction de la chanson
  • L'horrible solo de piano à 3'15. On dirait presque du jazz.
  • De manière générale, toute la discographie de Supertramp que je me suis infligée à l'adolescence (est-on masochiste à cet âge !), que je nie maintenant avoir écouté tel Saint-Pierre au Jardin des Oliviers, et qui me ferait presque jeter le bébé avec l'eau du bain
Les raisons qui me font aimer après tout :
  • Le démarrage de la batterie (à 1'44) avec ce furtif cri d'enfant
  • Le passage "Don't do this / Don't do that" accompagné d'une espèce de guitare funk complètement improbable (à 4'15) et la reprise du thème du début à 4'48
  • Le texte qui n'est pas si mal en fin de compte - pas très loin de Another Brick In The Wall en beaucoup moins gonflant







Supertramp - School


2. Yianna Katsoulos - Les autres sont jaloux
Note de culpabilité : 4/10 (pas super connue donc pas super coupable quand on la cite dans un dîner)
Note de plaisir : 8/10
Les raisons qui devraient me faire détester :
  • La laideur inouïe et très 80s des coiffures, décors et costumes tels qu'on les voit dans le clip
  • Tout ce break entre 2'30 et 2'45 avec cette espèce de slap bass suivie d'un court passage chanté en anglais et qui est quelque peu ridicule.
  • L'impression de rejoindre, en aimant cette chanson, l'horrible revival 80s qui avait sévi il y a quelques années et qui avait remis au goût du jour des calamités comme Images, Partenaire Particulier ou Gold (Gold !). "Mais c'est du 2ème degré" m'expliquait-on avec un sourire complice. Super le deuxième degré.
Les raisons qui me font aimer après tout :
  • La mélodie du couplet, du refrain et même des choeurs ("Oh-oh-oh Oh-oh-oh "), qui est redoutablement efficace
  • Le texte vaguement nihiliste "Le monde n'est pas du tout mon maître / Je veux vivre ma vie et disparaître", ambiance Ni Dieu Ni Maître.
  • L'énergie, l'envie de vivre, l'anti-conformisme et l'oubli du ridicule qu'on ressent dans toute la chanson et aussi dans le clip, malgré sa laideur. Franchement, ils n'avaient peur de rien à cette époque et c'est en fin de compte assez réjouissant.







Yianna Katsoulos - Les autres sont jaloux


Status Quo en train de mouiller la chemise. Le genre de vision qui me donne envie de partir en courant.

3. Status Quo - You're in the Army Now
Note de culpabilité : 8/10
Note de plaisir : 9/10
Les raisons qui devraient me faire détester :
  • Status Quo déjà, non pour ce qu'ils sont mais pour ce qu'ils représentent, à savoir le rock mou, les groupes de stade des années 80, dont les chansons formatées rock FM constituaient les tous premiers CDs qui inondaient le marché. Les pires représentants de cette espèce sont Dire Straits, Genesis et Simple Minds. Tout ce petit monde a tranquillement fini sur Europe 2.
  • Le côté faussement ironique de la chanson qui penche en fin de compte beaucoup du côté du "We support our troops" que dans l'anti-miltarisme de bon aloi.
  • Ce son de guitare très daté et très laid, qu'on entend furtivement à 1'15 et plus longuement hélas vers 2'50
Les raisons qui me font aimer après tout
  • Comme souvent, la mélodie, imparable
  • Ce micro-solo de batterie super cool, à 1'40, qui lance de manière assez inattendue une rythmique très réussie et fait vraiment décoller la chanson
  • Le "Stand up & fight !", aboyé à 2'08, que je chante systématiquement quand je l'entends et qui me donne toujours un petit frisson de plaisir, presque l'impression de vivre un moment vraiment fort







Status Quo - You're In The Army Now

4. Alphaville - Big in Japan
Note de culpabilité : 9/10
Note de plaisir : 7/10
Les raisons qui devraient me faire détester :
  • Le nom du groupe, genre on a vu des films de Godard et on aime ça, alors que tout le monde sait que tous les films de Godard sont mortellement ennuyeux (en dehors de A bout de souffle, Le mépris et Pierrot le fou)
  • La vision flippante de ces troupeaux de jeunes filles CPCH (collier de perles / carré Hermès), dans des apparts parquet-moulures-cheminée de 800 m2, dansant le rock'nroll versaillais sur cette chanson, poussant le vice jusqu'à fermer les yeux en chantant le refrain (horrible !) et finissant souvent par me coller un râteau.
  • Les petites giclées de synthé (à 1'30 par exemple) qui sont quand même un peu hard
Les raisons qui me font aimer après tout :
  • Le nom du groupe, cinéphile, ce qui n'est pas si fréquent
  • Le texte qui n'est franchement pas si bête et qui parle de ces gens qui se disent "Big In Japan" pour contre-balancer un statut un peu loose dans nos contrées. Exemple : Richard Clayderman est big in Japan.
  • La mélodie des paroles, et la manière dont elles sont chantées, que je trouve sincèrement émouvante. Big in Japan est une chanson triste en fin de compte.







Alphaville - Big In Japan

5. Ricchi e Poveri - Sara perche ti amo
Note de culpabilité : 1/10
Note de plaisir : 10/10
Les raisons qui devraient me faire détester :
  • En cherchant bien, le côté "Je suis rital et je le reste" pourrait m'agacer mais en fait non, je n'arrive pas à trouver de vraies bonnes raisons de ne pas adorer cette chanson
Les raisons qui me font aimer après tout
  • Tout : la mélodie, les synthés-violons, la voix de la chanteuse, la voix du chanteur (spécialement à 32'' quand il démarre), le refrain, la moustache du mec et enfin, surtout, cette envie de vivre, cette amour de la musique, cette joyeuse mélancolie qui transpirent dans chaque seconde de ce chef d'œuvre indépassable de la chanson populaire.
  • Et puis cette chanson est la bande-originale de L'Effrontée - film qui m'avait beaucoup marqué







Ricchi e Poveri - Sara perche ti amo

Perversion Story

mercredi 17 juin 2009

Una sull'altra / One on Top of the Other
Lucio Fulci, 1969


Depuis que je m'intéresse aux films de genre, j'ai souvent entendu parler de Lucio Fulci (1927-1996), présenté comme le spécialiste ultime du film d'horreur italien, le successeur de Dario Argento, lui-même successeur de Mario Bava - deux réalisateurs que je porte aux nues maintenant que j'ai vu la grande majorité de leurs films (et dont il faut absolument que je parle bientôt sur ces pages, les innombrables chef-d'oeuvres d'Argento et Bava étant devenus pour moi des clés de voûte de ma culture cinématographique). Pour revenir à Fulci, mes réticences face à la violence trop explicite, trop gore, m'avaient toujours retenu d'aller m'intéresser de près à ses films. J'ai donc commencé allegro ma non troppo la filmo de Lucio, avec un giallo de 1969.

Alors, que trouve-t-on dans cet oeuvre précoce de Lucio Fulcio, avant qu'il ne bascule irrémédiablement dans le gore le plus sauvage ? Eh bien, du point de vue du scénario, nous avons ici affaire à un polar des plus classiques.

Pitch : dans un San Francisco très 60s, nous suivons les tribulations d'un jeune chirurgien ambitieux qui trompe sa femme. Celle-ci meurt subitement et inexplicablement. Effondré, notre héros échoue dans un bar à strip-tease dans lequel il tombe nez-à-nez avec une affriolante danseuse qui ressemble comme deux gouttes d'eau à se défunte femme. Intrigué, il la suit, la séduit et tente de se l'approprier - avant de se rendre compte qu'il n'était qu'un pion dans cette histoire.

Bon, évidemment, quand je vous dis "SAN FRANCISCO - STOP - FEMME BRUNE MORTE - STOP - RE-APPARITION EN BLONDE - STOP - HOMME QUI LA REMODELE A SA GUISE - STOP - COMPLOT - TERMINE", vous vous étranglez et criez d'une seule voix : VER-TI-GO ! Et oui, et oui, Perversion Story est sous perfusion hitchcockienne et assez vite on se demande comment Fulci va s'y prendre pour se détacher de cette écrasante influence.

Et bien, ce qui saute tout d'abord aux yeux est une différence générationnelle : entre Vertigo et Perversion Story, 10 ans se sont écoulés et une révolution sexuelle est passé par là. La Californie que nous montre Fulci est autrement plus sexy et dévergondée que la gentleman-attitude de James Stewart. Quoi que. J'ai encore des ... sueurs froides en repensant à cette scène elliptico-érotique de James Stewart déshabillant hors-champ Kim Novak après l'avoir sauvée des eaux.

Au-delà de cet érotisme affleurant et que je ne trouve hélas pas toujours exempt de vulgarité, Lucio Fulci laisse déjà paraître un certain goût pour l'imagerie de l'angoisse : plans saisissants sur le cadavre de la femme, tête de macchabé décomposé, effusions de sang bien rouge. On trouve également dans Perversion Story un vrai fétichisme visuel, si présent chez Bava et Argento (et là encore, sous influence d'Hitchcock) et qui s'exprime par des cadrages inhabituels et quelque peu angoissants, des gros plans sur des objets a priori anodins mais signifiants pour le scénario (ici, un flacon de somnifère) ou encore d'éclairages qui sont certes complètement irréels mais qui toujours illustrent un point de vue.

Un cadrage comme je les aime tant
Le macabre lit de la femme défunte

Toutefois, malgré toutes ces qualités esthétiques, je dois bien avouer que j'ai quelque peu baillé devant Perversion Story, principalement en raison des invraisemblances du scénario et du jeu bien terne des acteurs. Malgré sa belle gueule, Jean Sorel est aussi expressif qu'une endive. Le reste du casting est peu remarquable ... sauf ... sauf l'explosive Marisa Mell, bien sûr, dont j'avais pu apprécier la plastique dans Danger: Diabolik, de Mario Bava justement.


Le vulgarissime mais ébouriffant Marisa Mell Show (et pourtant je ne suis pas fan de strip-tease en général)


Ce qui est bizarre avec Marisa Mell, c'est que je n'arrive pas à savoir si elle est franchement belle. En fait, non, je crois que, fondamentalement, cette fille n'est pas très jolie mais, subjectivement, inexplicablement, elle dégage une charge érotique enivrante qui sauve toutes les scènes dans lesquelles elle apparaît. Elle est une bonne illustration du mot sex symbol.

En fin de compte, pour la troublante Marisa Mell et pour la maitrise visuelle de Fulci, Perversion Story est un film qui mérite largement d'être vu.



Pour finir, j'ai noté que les plans du héros dans la chambre à gaz ressemblent étrangement à ceux de Fred McMurray dans Double Indemnity (Billy Wilder, 1944). Dans ce dernier film (et au passage, chef-d'oeuvre) ces scènes avaient été coupées au montage mais elles apparaissent dans le livre Les Films Noirs de Patrick Brion. Voilà, c'était la remarque ciné-geek du soir, bonsoir.

Mansfield.TYA

jeudi 11 juin 2009

Han ! Je le savais, j'en étais sûr !

Oui, j'étais sûr que derrière l'exubérante, l'outrancière, l'ordurière chanteuse de Sexy Sushi, la joliment-nommée Rebeka Warrior, se cachait une fille d'une sensibilté à fleur de peau. C'était évident. La découverte de Mansfield.TYA, son side-project, m'en a apporté ce soir une preuve éclatante. Enfin c'est plutôt Sexy Sushi qui est un side-project de Mansfield.TYA, mais peu importe.

Mansfield.TYA est donc un duo composé de deux nantaises : Carla Pallone au violon et Julia Lanoë (qui ne s'appelle donc pas Rebeka Warrior pour de vrai) à tous les autres instruments. Ces deux filles nous proposent une pop-folk dépouillée, acoustique, aux mélodies envoutantes et aux textes mordants.

Je ne rêve plus, extrait de leur album Seules au bout de 23 secondes sorti en février, est de toute beauté, servie par une instrumentation minimale mais très juste et des textes vraiment poignants. Une chanson certes légèrement désespérante mais totalement dénuée de mièvrerie complaisante. A écouter en boucle, les yeux et les oreilles grand ouverts.







Mansfield.TYA - Je ne rêve plus


Pour oublier je dors était un peu le tube du premier album de Mansfield.TYA, June, sorti il y a déjà 3 ans. Derrière cette chanson toute belle toute calme, on trouve déjà, par ces textes noirs et glaçants, le vitriol qui est la base des brûlots incendiaires de Sexy Sushi.
Mon livre de Victor, sent le Calvin Klein,
Il me rappelle encore ces souvenirs lointains
Depuis ma femme est morte, et je peux me saouler
Au vin de l'assassin, j'ai tué ma bien aimée
Un planté de couteau n'aurait pas suffit
Il m'a fallu voir grand pour lui ôter la vie

Si je vais mieux maintenant,
Je n' me le demande pas
Mais j'ai défoncé ses dents
Pour qu'on ne me retrouve pas







Mansfield.TYA - Pour oublier je dors



Amis parisiens, notez comme moi dans vos agendas que les deux muses saphiques de Mansfield.TYA jouent à la Bellevilloise vendredi prochain. Je pense que ça sera beaucoup plus posé (mais pas moins enthousiasmant) que la prestation punkissime de Sexy Sushi à la Maroquinerie le 8 mai dernier.

Et tant qu'on y est, en ce jour où Christine Albanel et son projet Hadopi qu'elle traîne comme un chien galeux ont encore été blackboulés (à la régulière cette fois : c'est carrément le Conseil Constitutionnel qui a renvoyé notre infortunée ministre dans ses 22), bref, en ce jour particulier, écoutons, encore une fois, Sexy Sushi nous donner leur intéressant point de vue sur l'industrie du disque via cette réjouissante chanson sobrement intitulée Rien à foutre.








Sexy Sushi - Rien à foutre


Difficile de croire que c'est la même chanteuse qui susurre d'un côté les douces complaintes ci-dessus et qui débite par ailleurs cette invraisemblable (et si drôle) logorrhée pro bling-bling :
Moi j'trouve ça respectable la chanson française et la variété et j'serais fière de passer à Nostalgie, rien à foutre du ghetto indépendant, faut pas s'voiler la face, y'a que le fric qui compte et puis j'vois pas pourquoi on se priverait d'avoir des piscines et des baraques à 30 millions ... tout ça pour la gloire de l'art. C'est pas parce qu'on est underground qu'on fait des trucs mieux et le mythe de l'artiste maudit c'est une grosse connerie et nous si on nous demandait d'aller à la Star Ac' et ben on le ferait et pareil pour Vivement Dimanche. J'vois pas pourquoi on devrait croupir dans notre flaque, y'en a ras le cul de cracher sur les gens connus puis moi Madonna je l'aime et pareil pour les Fugees j'trouve ça bien, lalalalaaaa, par contre j'aime pas Jean-Jacques Goldman mais c'est pas le sujet et ce qu'il faut savoir y'a aussi des merdes dans le milieu indé.
Alors faut arrêter le délire là, rien à foutre du ghetto, rien à foutre ... ad lib

Il profumo della signora in nero

mercredi 10 juin 2009

The Perfume of the Lady in Black
Francesco Barilli, 1974

(film pas sorti en France en salles ou en DVD, mais j'imagine qu'on peut traduire ce titre par Le parfum de la dame en noir)

Pitch : Le jeune et belle Silvia (Mimsy Farmer) mène une existence bien remplie et apparemment bien réglée. Son travail de chercheuse en laboratoire ne lui laisse que peu de temps pour voir Roberto, son fringant petit ami. Lors d'un banal dîner, un mystérieux invité évoque des rites occultes de magie noire et sème le trouble chez notre héroïne. Et petit à petit, son existence va se dérégler. De pénibles souvenirs d'enfance remontent à la surface : la villa abandonnée et pleine de secrets, la vision de son beau-père faisant brutalement l'amour avec sa mère, la mort (accidentelle ?) de celle-ci. Pour la pauvre Silvia, ces souvenirs envahissent tellement son esprit qu'elle ne sait (pas plus que le spectateur) si ces évènements qu'elle revit sont réels ou non. A grands coups de hachoir, tout cela va très mal se finir, jusqu'à une épouvantable scène de cannibalisme à vous glacer le sang.

Je ne suis d'habitude pas très friand des films qui louvoient en permanence aux frontières de l'onirisme. Je préfère toujours savoir si ce que je vois à l'écran est dans le domaine du rêve ou du réel (enfin réel je m'entends, je sais bien que tout cela est pour de faux mais j'essaie de l'oublier au maximum). Je n'aime pas tellement ces scènes où l'on voit un personnage, qui après avoir subi mille tourments, se réveille subitement en disant "Ah mon Dieu, heureusement tout cela (i.e. la dernière demi-heure de film) n'était qu'un rêve !". J'ai alors l'impression d'avoir été trompé et qu'on m'a volé cette demi-heure justement. Souvent, après avoir été dupé de la sorte, je ne crois plus à rien de ce que je vois à l'écran, j'ai trop conscience que tout ceci n'est que du cinéma et arrive alors la pire chose qui puisse se produire entre un spectateur et le film : la rupture du contrat narratif, l'adieu à la magie du cinéma.

Shining et surtout - avant tout - Mulholland Drive, sont d'excellents contre-exemples à cet écueil et sont deux preuves éclatantes qu'on peut manipuler le spectateur sur la notion de réel vs imaginaire sans l'exclure du film qui est montré. Il profumo della signora in nero en est une autre, bien qu'un cran en dessous de ces chefs-d'oeuvre.

Belle image de l'exubérant appartemment de Francesca, l'amie de Silvia

De prime abord, on constate que Il profumo della signora in nero utilise les codes formels et un certain nombre de ressorts dramaturgiques propres au giallo : jeune fille seule, perdue et menacée, meurtres montrés comme des mises à mort, utilisation exclusive d'armes blanches, effusions d'hémoglobine, figures récurrentes et flippantes d'enfants etc, (j'ai du voir une quinzaine de gialli depuis un mois et j'essaierai d'en faire prochainement une espèce de synthèse). Francesco Barilli s''affranchit toutefois assez vite des limites du giallo, introduisant, à l'instar de Dario Argento dans Suspiria, des éléments fantastiques, ou en tous cas psychanalytiques et schizophréniques.

Dans Il profumo della signora in nero, Barilli réussit fort bien, et de manière très progressive, sans hiatus brutal ou coup de théâtre, à nous faire rentrer dans la tête malade de Silvia. La symbolique et le propos sont certes assez lourds (refus de l'âge adulte, Oedipe refoulé, sexualité torturée) mais, d'une part, tout cela est illustré par de superbes images qui sont de plus en plus cauchemardesques au fur et à mesure que le film avance, et d'autre part, ces artifices de forme parviennent à insuffler une atmosphère franchement angoissante : on retrouve cette idée très lynchienne que derrière une apparente banalité de la vie quotidienne, se cache au fond de nous d'indicibles horreurs. Par bien des aspects (cadre restreint à un appartement, focalisation sur une femme en plein perdition psychologique) ce film m'a également fait fortement penser à Rosemary's Baby de Roman Polanski (en mieux ! j'avoue m'être un peu ennuyé devant ce dernier et n'avoir pas tellement "marché", malgré toute la beauté de ce film).

Enfin, il faut souligner l'impressionnante performance de Mimsy Farmer, qui est de tous les plans, et qui, bien que cette expression soit un peu galvaudée, porte le film sur ses épaules. Elle m'avait séduit dans Quatre mouches de velours gris du maestro Dario Argento ; elle m'a subjugué dans Il profumo della signora in nero.

Elle est blonde, elle est belle et elle est incroyablement expressive sans jamais en rajouter : d'un pincement de lèvres ou d'un regard oblique, elle arrive à nous communiquer son angoisse, sa folie et, pour finir, sa démence.

Silvia confrontée à ses trauma d'enfance
Motif récurrent de la petite-fille-flippante-en-robe-blanche

Ca devient de plus en plus sanglant
Et cette scène me fait bigrement penser à Shining

Le cauchemar de Silvia se termine par une incroyable (et insoutenable) scène d'anthropophagie


Rallumer le feu

mardi 9 juin 2009

Emporté par mon nouveau job, exilé permanent au mois de mai, vidé par la semaine du sexe qui a épuisé toutes mes ressources, j'ai laissé mon modeste blog et mes fidèles lecteurs (rappel : je vous aime) à l'abandon. Mais j'espère bien que ce site va renaître de ses cendres. Nous avons perdu une bataille, mis un genou à terre, mais la croisade de l'étrange, du mauvais goût assumé et de l'outrance n'a pas dit son dernier post.

Pour nous donner du cœur à l'ouvrage, je vous propose trois extraordinaires chansons qui, non contentes d'user mon iPod, partagent un certain nombre de qualités : électro-pop, chantées par des filles, aux refrains imparables et résolument hédonistes (que j'aime ce mot !). En trois tubes incontestables à défaut d'être de la toute première fraîcheur, voici donc un avant-goût de l'été. Soleil massif, marivaudage au Macumba et bière coulant à flot sur les T-shirts brûlants. Préparons-nous !

Sous influence directe de Blondie, et marchant sur les traces des regrettés Cardigans, voici les suédois de The Sounds - emmenés par la ravissante, horripilante et bisexuelle Maja Ivarsson. J'avoue ne pas bien connaître leur discographie mais il faut tout de même reconnaître que ce titre, Tony the Beat, qui date de 2006, est une vraie réussite, un de ces chansons dont on devient tout de suite addictif. Après une intro délicieusement bitchy (qui n'est pas sans rappeler les Ting Tings), arrive alors un refrain absolument dévastateur et qu'il est im-po-ssible de ne pas aimer instantanément.
This song is not for you lovers
Woo-oo-oo
Don't stop push it now
And I will give it all to you
Don't just stop now
And try to give it all up







The Sounds - Tony The Beat
OK, tout cela est flashy & superficiel et ne marquera sans doute pas l'histoire mais combien de groupes peuvent revendiquer de telles pépites pop et sucrées ?


Dans un registre très proche, on trouve ce groupe anglo-canadien qui répond au nom légèrement ridicule de Dragonette. Ils avaient apparemment jouï d'un excellent buzz en 2005 et leur premier gros single, I Get Around, ci-dessous, était attendu comme le Messie par la presse musicale anglaise. Las, malgré tout le battage médiatique dont ils ont fait l'objet, ce titre n'a pointé qu'à une piteuse 92e place avant de retomber dans un relatif anonymat.
Quel dommage ! Cette chanson si sucrée, si entêtante, au refrain simple et addictif (Here I come when I better go / I say yes when I ought to say no) méritait largement une place de #1 dans le monde entier. Les voies des charts et du succès sont impénétrables.







Dragonette - I Get Around
Et je mets également l'excellent remix qu'en ont fait les australiens de Midnight Juggernauts. Proche de l'original, un peu moins spontané peut-être mais plus orienté dancefloor. Très très efficace.







Dragonette - I Get Around (Midnight Juggernauts Remix)


Mes idoles du moment : l'inénarrable duo Sexy Sushi en tenue de scène

Pour compléter en finesse ces perles estivales, voici un titre inouï que je ne me lasse pas d'écouter depuis un mois : le flamboyant Enfant de Putain / Salope Ta Mère, signé par mes chouchous Sexy Sushi (pardon, Maman). Comme disaient les Inrocks la semaine dernière, à côté de Sexy Sushi, Orelsan c'est Soeur Sourire.

J'ai vraiment beaucoup écouté cette chanson et je cherche sérieusement à comprendre pourquoi elle me fascine autant, au-delà d'un certain plaisir, ouvertement infantile, à transgresser tous les interdits de langage. Par ce tombereau d'injures, je trouve que Rebeka Warrior explore de nouvelles manières de jouer avec le langage, se présentant ainsi comme une espèce de fille indigne de Georges Pérec. Une telle accumulation d'injures ordurières finit par vider les mots de leurs sens premier (un peu comme quand on répète un mot à l'infini, même le plus simple : au bout de 50 répétitions, il ne veut plus rien dire). Cette logorrhée, compacte et homogène, se mue au bout de quelques minutes en une étrange mélopée de laquelle plus aucune mot ne se détache vraiment. Enfin, c'est comme ça que je l'entends. Quoi qu'on en pense, cette démarche, passionnante et presque dadaïste, est tous cas très drôle. Sexy Sushi rules !







Sexy Sushi - Enfant de putain / Salope ta mère


Et je reparlerai très bientôt de cinéma sur ces pages. J'ai continué à voir beaucoup de films ces dernières semaines, de grands classiques à de superbes gialli en passant par de petites perles de série B d'horreur.
En guise de preview, voici quelques belles images de films qui m'ont particulièrement marqué récemment et dont je parlerai bientôt. Stay tuned!






Celui ou celle qui arrive à identifier les films dont sont extraites ces captures gagne un pin's parlant collector des Crados. A très vite !