Fuck Buttons II

mardi 25 août 2009

Haut les coeurs, Fuck Buttons est de retour.

Leur label propose en écoute depuis aujourd'hui leur nouveau single, Solar Surf, dans une version raccourcie de 3 minutes. La "vraie" chanson en durera sept de plus sur l'album à venir, Tarot Sport, prévu début octobre.

Même dans cette version "edit", on retrouve les caractéristiques de ce groupe fabuleux, à savoir des sonorités noisy et abrasives sous lesquelles des mélodies planantes et hypnotisantes affleurent. Par rapport aux titres de leur album précédent (Street Horrsing, un des mes albums préférés de 2008), le rythme semble s'être quelque peu accéléré et il manque ces voix sur-saturées complètement destroy qui m'avaient tant impressionné. Attendons de voir ce que ça donnera en version longue et sur un album - toutes ces chansons ne prenant leur vraie valeur qu'en concert ou en écoutant l'album d'un seul tenant.

Voici donc le titre en question, tout récent, brut de fonderie et fraîché du matin pêché. Vous verrez, on est toujours à cheval entre Aphex Twin et My Bloody Valentine. Je suis devenu instantanément accro.







Fuck Buttons - Surf Solar (Edit)

J'en profite pour remettre mon titre préféré de leur premier album, Sweet Love for Planet Earth, que j'avais déjà posté dans un article précédent sur Fuck Buttons. La construction est superbe : début vraiment très calme, arrivée progressives des instruments, thème-qui-tue à 4'35 et enfin ces incroyables sonorités vocales (ce n'est pas vraiment du chant n'est-ce pas ?) à 5'35. Très, très, très impressionnant.







Fuck Buttons - Sweet Love for Planet Earth

Parisiennes et parisiens de tout bord, notez dans votre carnet de bal la venue des génies de Fuck Buttons le 23 octobre au Nouveau Casino pour un franchissement orgasmique du mur du son (et n'oubliez pas vos boules Quies).

Inglourious Basterds

dimanche 23 août 2009

Quentin Tarantino, 2009

Pitch : des juifs et des nazis s'étripent sous l'Occupation.

Un premier constat s'impose : il s'agit bien d'un film de Quentin Tarantino. En dehors des habituels dialogues sur-écrits (j'y reviendrai), on retrouve un certain nombre de tics cinématographiques du réalisateur le plus sur-côté de ces 10 dernières années : histoires croisées, élimination soudaine et sans gloire de ses héros (à la Travolta dans Pulp Fiction ou De Niro dans Jackie Brown), intertitres entre chaque chapitre du film etc. Et ce gros plan de profil sur les lèvres de Mélanie Laurent se mettant du rouge à lèvres est une copie conforme de la scène de Pulp Fiction avec Uma Thurman - tout comme le mitraillage d'une voiture allemande par les basterds qui est directement issu de Reservoir Dogs. Mais ces auto-emprunts ne sont pas des défauts selon moi.

En revanche, la manière dont cette histoire multicéphale nous est racontée est beaucoup plus problématique. Jusqu'à la scène finale, dans le cinéma, à l'issue de deux heures étirées à un point où la crispation l'emporte parfois sur l'ennui, un deuxième constat m'a sauté aux yeux : Quentin Tarantino n'est pas un cinéaste intéressé par la narration mais par la situation. Il sait poser des personnages dans une pièce, il sait les faire parler (mais pas les faire vivre !) et il sait bien contextualiser sa scène. Mais, coincé comme il est dans sa volonté de faire prononcer par ses acteurs des "dialogues qui tuent", je trouve qu'il ne sait pas vraiment faire avancer son histoire.

La scène de l'auberge est pour moi symptomatique de ce travers - même si elle n'est pas la plus ratée. L'exposition des personnages et du contexte dure un temps incroyablement long, dix, quinze minutes je ne sais pas mais Dieu que c'est laborieux (et suis-je le seul à trouver que la lumière est très laide pendant toute cette scène ?). Certes, la tension monte mais à quel prix ! Au bout d'un temps infini, la fusillade, attendue, libératrice tant on s'ennuie, est effectivement brillante mais terriblement frustrante par son immédiateté. Au bout de 20 secondes à peine, l'ultra-violence retombe comme un soufflé et c'est reparti pour un dialogue qui se veut "déjà culte" (entre Brad Pitt et le survivant). J'avais ressenti la même frustration avec le premier accident de Death Proof qui nous est montré comme un flash après 45 minutes (!) de dialogues inintéressants à souhait.

En dehors de la dernière demi-heure, Inglourious Basterds est donc une succession de scènes verbeuses jusqu'à l'écœurement. Entre ces scènes, il se passe des choses, l'histoire (la petite comme la grande) avance mais rien ne nous est montré. Les ellipses au cinéma ne sont pas pour moi une mauvaise chose en soi mais je suis surpris par leur utilisation systématique. On trouve parfois cela dans les films fauchés mais là, avec les moyens dont Quentin Tarantino dispose et que j'imagine illimités, on se demande vraiment quel propos justifie ce parti-pris narratif. Peut-être se dit-il que ses dialogues sont tellement géniaux qu'ils suffisent à créer du cinéma. Mais je me répète, passons.

Christoph Waltz, qui fait une entrée dans mon TOP 5 des méchants au cinéma

Un mot sur le casting que je trouve incroyablement inégal. Si Christoph Waltz est effectivement brillantissime et n'a vraiment pas volé son Prix d'interprétation masculine, si Brad Pitt n'est en fin de compte pas si gonflant (malgré un premier quart d'heure qui m'a fait très peur), si tous les Basterds sont assez crédibles (Eli Roth en particulier), le film est pour moi fortement handicapé par des rôles franchement mal incarnés. Mélanie Laurent n'est pas tellement plus enthousiasmante que Marion Cotillard, c'est-à-dire pas enthousiasmante du tout. Diane Kruger, avec son accent allemand archi-forcé, est bien fadasse - tout comme Daniel Bruhl. Mention spéciale au projectionniste qui est d'une nullité invraisemblable pour une production de cette ampleur (ils ont été le chercher dans Plus Belle La Vie ou quoi ?).

Bref, au bout de deux heures, j'étais prêt à crier à l'escroquerie. Et puis ... un petit miracle se produit lors de la scène de l'attentat au cinéma. A ce moment, Tarantino met en veilleuse les défauts cités plus haut et en action son immense talent. Les personnages se taisent enfin, les ellipses disparaissent et on nous montre enfin une vraie, longue scène de cinéma avec de l'action, du suspense, des rebondissements, des beaux acteurs et de belles actrices, et même de la vie : on finit (enfin !) par vibrer pour ces personnages et cette histoire.

En plus de ce sens retrouvé de la narration, Quentin Tarantino nous gratifie dans cette scène finale de superbes images. La vision du tas de bobines derrière l'écran est assez exceptionnelle mais la palme de l'image la plus marquante revient à ce plan absolument hallucinant où l'écran prend feu tout en nous montrant l'image terrifiante de Mélanie Laurent annonçant aux nazis le châtiment qu'ils méritent. Les cinq secondes que durent cette image époustouflante m'ont presque fait oublier tout ce que j'ai pu dire plus haut. Et le mitraillage des nazis par les deux derniers basterds, avec force gros plans et ralentis, en devenait jubilatoire : on est vraiment dans leur camp et on a presque envie de tenir la mitraillette à leur place.

Pas moyen de trouver des images marquantes de la scène finale - en dehors de celle-ci. L'excellent Eli Roth à droite

Cette dernière scène nous fait donc sortir de la salle avec un réel sentiment d'excitation mais je ne suis pas sûr que le temps de la réflexion soit favorable à une oeuvre aussi inégale qu'Inglourious Basterds. J'ai lu aujourd'hui (dans Paris-Match !) une interview de Tarantino himself donnant son avis sur Kill Bill 2, qu'il a revu tout seul chez lui : "C'est mon meilleur film. Je l'adore." déclare-t-il avec sa modestie légendaire. Mouais. Quand il n'aura plus la grosse tête et qu'il arrêtera de se regarder et (surtout) de s'écouter, peut-être refera-t-il un film aussi brillant que Reservoir Dogs. Là, avec Inglourious Basterds, à mon humble avis, il en est encore assez loin.

Twin Peaks - Fire Walk With Me

jeudi 20 août 2009

David Lynch, 1992

Ça fait une semaine que je suis obsédé par Twin Peaks : le film, les 20 épisodes de la série et la bande originale. Je ne me lasserai jamais de répéter à quel point cette œuvre protéiforme de David Lynch, Mark Frost (co-scénariste de la série) et Angelo Badalamenti (compositeur des BO) est fondamentale dans la pop culture des ces vingt dernières années. Si on ne regarde que la série, on se rend compte qu'elle fut la première série télévisuelle moderne, ouvrant une voie, alors inédite, dans laquelle s'engouffreront plus tard tous les Lost, Sopranos, Mad Men et Nip/Tuck. Bien avant tout ce monde-là, David Lynch créait l'événement.

Mais je voudrais particulièrement parler du film qui est un peu mal-aimé, y compris parmi les aficionado de la série. Pour rappel, le film, Twin Peaks - Fire Walk With Me, a été écrit et tourné après la série, ce qui est hautement inhabituel. Ce film réussit le tour de force d'être à la fois un prequel, en racontant les derniers jours de Laura Palmer, et un sequel, en répondant, de manière parfois sibylline, à un certain nombre de questions laissées ouvertes à l'issue des deux saisons de la série.

Je reconnais volontiers que Twin Peaks est un film imparfait. L'intrigue est hachée, l'histoire est parfois incompréhensible pour les non-initiés à la série et la bizarrerie l'emporte trop souvent sur la volonté de tenir le spectateur par la main (contrairement à Mulholland Drive, dans lequel on se sent impliqué jusqu'à l'ultime seconde). Mais Twin Peaks est aussi bourré de scènes absolument stupéfiantes, qui vont au-delà d'un simple plaisir visuel.

Kiefer Sutherland & David Lynch
Chris Isaak, la méga-classe internationale

Je suis par exemple complètement fasciné par les 20 premières minutes qui mettent en scène Chris Isaak (quel sens du casting !) en special agent du FBI, d'une classe folle, jamais égalée, Kiefer Sutherland dans un rôle Docteur-Watsonien à rebours total de la série 24h et David Lynch lui-même en boss du FBI, sourd comme un pot et au discours crypto-énigmatique. L'apparition de la fille aux cheveux rouges à l'aéroport, pour donner des indices, est incroyable, du jamais vu au cinéma pour moi.

La fille en rouge de l'aéroport : une des scènes les plus intrigantes (et des plus WTF) que je connaisse

Mais je voudrais me concentrer sur deux scènes qui me hantent depuis 10 jours. Enfin, il s'agit plutôt d'une seule scène car ces deux instants se suivent. Au milieu du film à peu près, nous suivons nos héroïnes dans deux lieux de nuit distincts : le Roadhouse et le Pink Room.

The Roadhouse
Rappel : Laura Palmer mène une double vie. D'un côté, elle est une fille modèle, college queen, maquée avec le capitaine de l'équipe de foot du lycée, de l'autre, elle fume, boit, se drogue, se prostitue - à l'insu même de sa meilleure amie Donna. Un soir, celle-ci décide de suivre Laura dans une de ses sorties dépravées. La première étape de leur virée est un bar appelé The Roadhouse. On y retrouve Jacques Renault, barman et maquereau, ainsi que deux jeunes gars sans relief qui seront leurs clients pour la nuit.

La scène de l'arrivée des deux filles au Roadhouse est extraordinaire. Laura prend place avec l'assurance désespérée qui la caractérise. Donna semble être un oiseau tombé du nid dans un endroit qui la dépasse. La tension est à son comble : Donna va-t-elle ramener Laura à la raison ou va-t-elle plonger avec elle ? Et, pendant ce temps, sur la scène de ce bar de bikers et de cowboys, joue un groupe en complet décalage avec la clientèle. La chanteuse (Julee Cruise), toute de blanc/bleu éclairée, susurre une chanson d'une beauté à vous tirer des larmes et d'un calme vraiment inquiétant qui annonce, par contraste, les drames à venir.








Angelo Badalamenti - Questions in a World of Blue (feat. Julee Cruise)
Vraiment, il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas être bouleversé par cette chanson.

Arrivée de Laura
Arrivée de Donna


The Pink Room
Après avoir ferré leurs deux bûcherons, Laura et Donna les emmènent au Pink Room, endroit terrifiant auprès duquel le Quartier Général (croisement Oberkampf-St Maur), un samedi à 6h du matin, ressemble à un salon de thé Pompadour pour vieilles bigotes rhumatisantes. Mais retournons en Amérique. Donna la novice & Laura l'habituée fument, boivent, prennent des drogues, s'embrassent, embrassent n'importe qui, se déshabillent. On sent que la catastrophe est imminente et il est difficile de ne pas vibrer pour ces deux adorables jeunes filles en espérant qu'elle ne tomberont pas plus bas.

Cet endroit cauchemardesque, saturé de lumière rouge et de stroboscope, est la négation même de toute vie. Nous y retrouverons Jacques Renault, qui, tout en pointant son index sur sa tempe à la manière d'un pistolet, déclare "Guess what? There's no tomorrow... Know why, baby? 'Cause it'll never get here."

Mais, au-delà des dialogues, des personnages et de l'intrigue, cette scène est pour moi absolument obsédante par sa musique. Sur la scène du Pink Room, nous voyons en effet cinq musiciens grimés en cowboys, masqués derrière des lunettes noires, apparemment impassibles, qui jouent la musique la plus sexuelle et lancinante qu'on puisse imaginer. Les filles se déhanchent lascivement sur ces interminables boucles blues-rock et, comme elles, je dois avouer que je suis complètement hypnotisé par cette musique de fin du monde, gavée de guitare reverb', répétitive à souhait et triste à pleurer.








Angelo Badalamenti - The Pink Room
Jamais pour moi une chanson n'avait évoqué avec autant de force la drogue, le désespoir et la dépravation.







Allez, la pêche !

Contes Immoraux

lundi 17 août 2009

Walerian Borowczyk, 1974

Dans ma quête du film érotique intelligent, qui me ferait changer d'avis sur le traitement frontal de la sexualité au cinéma, je m'attaque à l'œuvre de Walerian Borowczyk. Ce cinéaste polonais établi en France jouissait apparemment dans les années 70 d'une certaine respectabilité, voire d'une forme de caution du milieu intello. Allons voir ce que ça donne.

Premier signe encourageant : le titre du film est un clin d'œil aux Contes Moraux d'Eric Rohmer, dont Walerian Borowczyk nous propose une forme de relecture érotique. Le film présente quatre contes qui illustrent différentes facettes de l'immoralité - sexuelle principalement. Pour faire comme le Maître (ai-je déjà dit que Rohmer était le plus grand cinéaste de tous les temps ?), Borowczyk avait prévu six contes : les quatre premiers donneront ce film, le cinquième deviendra un long-métrage à part (La Bête, dont je parlerai un jour si j'ai le courage) et je crois que la sixième a été tourné plus tardivement.

Avant de tirer des conclusions sur Walerian Borowczyk ("Boro" pour les intimes), essayons de résumer chacune de ces histoires, résolument grivoises mais jamais scabreuses. En image s'il vous plaît.

1. La Marée
Pitch : de nos jours, durant l'été, deux jeunes gens partent en vélo se promener sur les galets, entre la mer et la falaise. Le garçon, 20 ans, en impose à sa jeune cousine, 16 ans, et semble commander en tout. Ainsi, il lui propose de l'initier à la fellation tout en lui donnant un cours sur l'origine des marées. La jeune fille consent. Bien bien.

A plus d'un titre, cet épisode est le plus rohmérien des quatre. On y trouve d'une part un jeune Fabrice Luchini, acteur fétiche de Rohmer (et révélé par lui), et d'autre part, le contexte de l'histoire (et non son traitement !) fait penser à des oeuvres comme La Collectionneuse ou Le Genou de Claire : l'été, les jeunes filles en fleur, l'insouciance, les jeux de l'amour ...

La Marée est peut-être mon préféré des quatre Contes Immoraux. Il faut d'abord reconnaître que cette jeune (et courageuse) actrice, Lise Danvers, qui joue la jeune cousine, est très sensuelle et extrêmement troublante. Et puis franchement, avouons-le, pour nous les garçons, qui n'a jamais rêvé à l'adolescence de connaître une jeune fille (pas une cousine, hein ! c'est péché avec une cousine) qui serait coopérative pour nous faire rentrer plus rapidement dans l'âge adulte, le tout dans un contexte estival où tout semble plus permissif ?

A côté de cette projection que fera tout spectateur masculin, les images de La Marée sont assez belles, Fabrice Luchini est (déjà !) égal à lui-même, à savoir brillant, et Walerian Borowczyk nous gratifie de plans très sensuels, au plus proche du corps de sa jeune actrice. Une petite réussite donc, malgré la trivialité du pitch.

Une des images emblématiques du film
Walerian Borowczyk assume : ce plan dure bien 5 secondes

La cousine (Lise Danvers)
Le cousin (Fabrice Luchini)


2. Thérèse philosophe
Passons rapidement sur ce deuxième conte qui n'est pas franchement palpitant et dont le pitch est des plus sommaires : Thérèse, une jeune paysanne, est punie et enfermée par sa tante dans un grenier. Seule et livrée à elle-même, elle découvre de vieux ouvrages licencieux qui trainent dans un coffre. Émoustillée par ces lectures, elle voit, dans une assiette déposée par sa tante, un ... concombre ! Ah ah, à votre avis, que va-t-elle faire avec ce concombre ?

Au-delà de ce pitch vraiment trop basique pour moi, j'ai été quelque peu rebuté par la laideur des images, ou plus précisément de la lumière. Vraiment, on a l'impression qu'un seul méga-spot blanc de 5000W éclaire l'unique pièce dans laquelle se déroule cet épisode. L'infortunée actrice en devient d'une pâleur cadavérique assez peu propre à émoustiller le spectateur. Bref, image laide, absence de dialogue, érotisme qui ne décolle pas, histoire sur-téléphonée ... non vraiment, il n'y a pas grand chose à garder de ce conte.

Tous les éléments du conte sont sur cette image, par ailleurs assez joliment composée


3. Erzsebet Bathory
Pitch : cet épisode évoque la vie dissolue de Erzsebet Bathory, noble roumaine de 17e siècle et qui est peu la cousine des Carpathes de notre Gilles de Rais national. Sa grande occupation consistait en effet à enlever des jeunes vierges de son fief pour en abuser sexuellement et les massacrer afin de prendre des bains dans leur sang - dans un but de conserver une éternelle beauté. Cette sympathique femme a vraiment existé mais, d'après Wikipédia, il semble que ces agissements soient plus de l'ordre du mythe que de la réalité. Mais bon, de frêles jeunes filles livrées en pature, du sexe, du sang, de la perversion ... il y avait tout les ingrédients pour que 'Boro' en fasse un conte immoral

Par son sujet, sa longueur, la richesse de ses décors et le nombre impressionnant de figurantes, ce conte est le plus ambitieux des quatre. Dans le rôle de la comtesse, on trouve Paloma Picasso (et oui ! la fille de), vénéneuse à souhait dans son rôle de grande maîtresse SM. J'ai toutefois été plus frappé par la beauté de la jeune actrice qui joue le rôle de ce page androgyne qui entretient avec la comtesse une relation lesbienne assez ambiguë. Pascale Christophe, si vous me lisez, qu'êtes vous devenue ? En tous cas, vous me rappelez fortement l'über-troublante Sandra Julien qui hantait Le Frisson des Vampires.

Et ce n'est pas un hasard si j'évoque Jean Rollin : le cadre du château de la comtesse, le surréalisme de certaines scènes, le fétichisme de certains plans et l'aspect très cérémonieux, lent et sensuel, de l'ensemble ne sont pas sans rappeler les films de mon réalisateur préféré de films vampiro-érotiques. Ce troisième conte, à défaut d'être totalement captivant, se laisse donc regarder sans déplaisir. Je garde.

La comtesse face à son harem de jeunes filles
La comtesse dans son bain de sang

La comtesse Bathory (Paloma Picasso) et sa servante (la très troublante Pascale Christophe)


4. Lucrèce Borgia
Pitch : nous sommes en 1498 et nous suivons les tribulations du trio que forment Lucrèce Borgia, le pape Alexandre VI (son père) et la cardinal César Borgia (son frère). Vous vous en doutez, leurs tribulations seront d'ordre licencieux. Au programme donc : amour à trois, inceste et blasphème à go-go. Là encore, merci à Walerian Borowczyk de me faire réviser l'histoire en général et la vie des papes du 15e siècle en particulier - même si il y a une part importante de fantasme populaire dans cette description des mœurs papales.

On peut reprocher à ce dernier des quatre contes son absence presque totale de scénario. Le conte se résume à la phrase suivante qui sonne comme une blague : Lucrèce, le pape et le cardinal sont dans une pièce, à quels jeux sexuels vont-ils pouvoir se livrer ? Toutefois, il faut reconnaître que cet épisode est assez élégant dans son traitement et assez juste dans son approche de la sexualité : ce n'est pas vulgaire, encore moins graveleux, mais plutôt onirique et très sensuel.

Bizarrement, le mélange de sexualité et d'objets ecclésiastiques (tiare, croix, étole, trône) ne m'a pas paru tellement blasphématoire. A la réflexion, je ne pense pas que Walerian Borowczyk soit une personne radicalement anticléricale : j'ai plutôt l'impression qu'il utilise ces symboles forts pour composer des images surréalistes et marquantes. Je comprends évidemment que ça puisse choquer mais je ne pense pas que ça soit le but recherché.


Deux images, belles comme des tableaux, qui montrent tout de même un grand talent pictural chez Borowczyk

Apparemment, on savait s'amuser au Vatican en 1498


Concluons ...
Alors, au final, tient-on enfin avec Contes Immoraux un film érotique de bonne facture ? Eh bien, courageusement, je dirais : oui et non.

Dans l'ensemble, j'apprécie le traitement souvent frontal que propose Borowczyk dans ses cadrages. Il n'a pas peur (il est décomplexé dirait notre président) de nous proposer des gros plans sur les parties des corps qui l'intéressent (poitrine, sexe, fesses), plans souvent appuyés mais jamais anatomiques comme on peut le voir dans les films pornographiques. C'est le sexe qui intéresse Borowczyk et il ne cache pas non plus cet intérêt par des détours de scénarios qui n'apporteraient rien à son propos.

Cette franchise est plutôt réjouissante et démarque instantanément Contes Immoraux des infâmes films érotiques mâtinés de comique troupier (version Max Pécas) ou d'exotisme toc (version Just Jaeckin) qui fleurissaient en France dans les années 70 - et qui n'ont d'érotique que le nom. Walerian Borowczyk est largement au dessus de la mêlée.

En revanche, je pourrais lui reprocher l'hétérogénéité de son film. A côté de deux contes assez réussis (La Marée et Erzsebet Bathory), on trouve un épisode plutôt moyen (Lucrèce Borgia) et un autre franchement dispensable (Thérèse philosophe). Au sein mêmes des contes, certaines scènes paraissent inutiles et forcées. En fait voilà, malgré toutes les qualités qu'on peut lui trouver, on peut déplorer dans ce film un certain amateurisme général, un côté un peu cheap et parfois brouillon.

Avec les mêmes matériaux de base (histoire, acteurs, décors), je n'ose imaginer le chef d'œuvre qu'un cinéaste comme Kubrick ou Lynch aurait pu réaliser. On peut encore rêver.

Pour finir, une des images les plus connues du film, extraite de Erzsebet Bathory. Toute une époque quand même !

Retour sur Suspiria

mardi 11 août 2009

Amis parisiens bloqués dans la capitale, je vous propose de sauver votre mois d'août en courant à la séance de cinéma la plus réjouissante depuis des lustres : la projection de Suspiria au Max Linder Panorama le samedi 15 août à minuit. Compte tenu de la beauté inouïe de ce film et de sa rareté sur grand écran, cette reprise est un vrai événement, inratable pour tous les forçats de l'été amateurs de sensations fortes.

J'y serai pour ma part, au premier rang pour être complètement absorbé, avec mon T-Shirt mal coupé des Goblin, ma coupe de cheveux au bol à la Dario Argento et mes yeux aussi écarquillés que ceux de Jessica Harper !

Quand je relis l'article que j'ai écrit en janvier à propos de Suspiria, je le trouve très naïf et un peu à côté de la plaque. Il y a 8 mois, je n'étais encore qu'un jeune padawan bien novice en cinéma bis. Je dis même de grosses bêtises dans cet article : Suspiria n'est pas franchement un slasher et encore moins un giallo. Nous sommes plus dans un univers qu'on peut qualifier d'horreur fantastique. Dès le premier meurtre, les bras poilus du tueur nous montrent clairement que ce film se situe en marge de la réalité, dans un monde onirique très personnel et à l'esthétique très marquée.

J'ai du voir Suspiria cinq ou six fois depuis janvier (et je crois avoir scotché plus de 50 fois sur la maîtrise ébouriffante des 15 premières minutes) et je suis tout d'abord frappé de voir à quelle point l'histoire importe peu dans ce film - et pourtant Dieu sait à quel point j'aime qu'on me raconte des histoires au cinéma. A l'extrême opposé d'Eric Rohmer par exemple, Dario Argento n'est pas un cinéaste qui s'adresse à notre intelligence ou même à notre culture. Il touche en nous des cordes beaucoup plus basiques : nos sens bien sûr (son et image sont époustouflants) mais également nos sensations primales (peur, dégoût, angoisse). Suspiria est pour moi un film éminemment physique et qui pénètre le spectateur comme les coups de couteau au coeur reçues par l'infortunée première victime. Tout cela est très charnel.






Enfin, dans les suppléments du coffret Suspiria édité par Wild Side et que je ne saurais que trop vous recommander, j'ai trouvé mille informations passionnantes sur la genèse de ce chef d'oeuvre. On y apprend notamment que les fameuses tonalités rouges n'étaient pas crées par des gélatines classiques mais par des spots blancs ultra-puissants sur lesquels des tentures de velours rouge étaient disposées ! Ce procédé explique la chaleur si particulière de ces couleurs. On découvre également que les murs rouges des couloirs de l'école de danse sont en fait des panneaux translucides sur lesquels les motifs et la couleur étaient projetés.

Dans le même genre, Dario Argento raconte qu'au départ son film devait mettre en scène de toutes jeunes filles. Il a du s'incliner devant le refus des producteurs de voir des filles de 12 ans se faire massacrer à l'arme blanche mais il a conservé malgré tout les dialogues (qui sont en décalage complet avec l'âge des jeunes filles que nous voyons à l'écran) et il a demandé à ce que toutes les poignées de portes soient rehaussées afin d'accentuer le côté "petite fille" des pensionnaires.

Murs rétro-éclairés et poignées rehaussées font partie de ces détails qu'on ne remarque pas mais qui contribuent à renforcer l'étrangeté de tous ces plans

Dans un autre registre, j'ai découvert, par les multiples interviews de lui-même ou de ses collaborateurs, un certain nombre d'aspects de la personnalité de Dario Argento. Contrairement à son père spirituel Mario Bava et aux autres spécialistes italiens du giallo, qui étaient tous des personnalités de droite, Argento était un militant d'extrême-gauche convaincu, fortement politisé, même si cela n'apparaît pas du tout dans ses films (selon moi). Au-delà de sa couleur politique, Dario Argento apparaît comme un homme affable, d'une grande gentillesse et d'une modestie rare. Un de ses collaborateurs raconte qu'il était terrorisé par les films d'angoisse/horreur de ses confrères et qu'il a entrepris de faire des films terrifiants dans une volonté d'exorciser cette peur panique.

A la réflexion, Dario Argento est tout simplement un geek, le genre de personne introvertie dont les "mecs cools" se moquaient au collège et qui s'est vengé d'eux plus tard en les terrifiant dans les salles obscures. Cela explique sans doute pourquoi ses films sont si populaires dans la communauté des ciné-geek 2.0 - communauté dont j'ai bien peur de faire partie par un certain nombre de côtés.

Bon, et dernière chose, on trouve dans ce coffret la BO complète du film. Étonnamment, je trouve que cette musique de Goblin n'est pas très enthousiasmante dès qu'elle sort du cadre de Suspiria. En fait, quand je l'entends, j'ai avant tout envie de regarder le film - même si le film serait vraiment boiteux si cette musique était absente. Je vous propose tout de même le titre-phare.








Goblin - Suspiria

Bref, rendez-vous samedi au Max Linder !