Le fait d'avoir posté l'image des nurses vampires dans mon post sur Esser m'a donné envie de voir ce film, Lèvres de Sang, qui est paraît-il un "film majeur" de Jean Rollin. En route donc pour ma 4ème rollinade.
J'aime beaucoup cette affiche qui me fait penser à de la BD SF des années 70, à Druillet notamment (Jean Rollin a d'ailleurs lui-même été scénariste de BD SF).
Pitch : lors d'un cocktail mondain, Frédéric, un homme d'une trentaine d'années, tombe en arrêt devant une photographie d'un château en ruines. Cette image lui rappelle un souvenir d'enfance ; il y avait rencontré une belle jeune fille tout de blanc vêtue et passé une nuit à ses cotés. Jusqu'à cet instant, Frédéric n'avait jamais su si cet évènement était rêve ou réalité. Cette photo lui donne enfin une piste. Très troublé, il met en quête de ce château et de cette mystérieuse jeune fille. Mais très vite, de mystérieux conspirateurs, dont sa propre mère, vont tout faire pour contre-carrer son projet. Poursuivi, il se réfugie dans le cimetière de Montmartre où il réveille par mégarde 4 filles vampire (ah !) qui dormaient peinard dans leur cercueil. Reconnaissantes, elles vont l'aider dans sa quête et trucider quelques conspirateurs mais elles paieront le prix fort in fine.
Lèvres de Sang étonne tout d'abord par la linéarité de son récit. Malgré de nombreuses incohérences (qui ont une explication très rationnelle - j'y reviendrai), l'histoire se suit sans difficulté et on ne passe pas son temps à se dire "Mais c'est qui cette vampire ? D'où elle sort ?", comme devant Le Viol du Vampire. On finit par s'attacher à cette quête de Frédéric et on veut connaître le fin mot de l'histoire : qu'est devenue cette fille de son enfance ? Pourquoi se mère lui met-elle des bâtons dans les roues ?
En fait, on s'intéresse à cette histoire car elle traite de thèmes universels - derrière une façade folklorique (les femme-vampires), Lèvres de Sang est l'histoire d'un passage. Sans chercher très loin, ce film parle de cette période où l'on regarde les souvenirs d'enfance d'un oeil interrogateur : était-ce vrai ou faux tout ce que l'on m'a dit ? Pourquoi ma propre mère ne veut-elle pas que je sache la vérité ? La scène finale est assez explicite : sommé par ses ennemis de couper la tête de cette femme qu'il a fini par trouver et de l'apporter à sa mère (!), il utilise un subterfuge en coupant la tête d'une statue de la Vierge et en la faisant passer pour la tête de sa promise. L'entrée de Frédéric dans la vie adulte se fera donc par le rejet de sa famille, de la religion et de manière générale de toutes les vérités assénées depuis l'enfance. Jean Rollin ne saurait être plus clair. Bon ok ok, ça va pas chercher très loin mais il y a quand même plus de sens dans ce film que dans l'entière filmographie de Claude Lelouch (beurk).
En dehors de ce message, Lèvres de Sang reste évidemment fascinant à regarder, malgré sa lenteur (Rollin serait-il le Rohmer du film d'horreur ?). Les décors sont toujours aussi étonnants : on n'oublie pas cette poursuite en clair-obscur dans l'aquarium désaffecté du Trocadéro, ou encore ces apparitions fugitives de la jeune fille dans des endroits aussi incongrus que lourds de sens (un cimetière, une gare, un hôpital). Le film se termine comme toujours sur la plage de Dieppe, entre mer, galets, poteaux de bois et falaise calcaire. J'aimerais bien savoir pourquoi Jean Rollin termine presque tout ses films sur cette plage. Etait-il du coin ?
Pour la petite histoire, j'ai lu que le casting de ce film réunissait tout le "gratin du X français des années 70". L'explication est que Jean Rollin a tourné, en parallèle du tournage officiel, et sous le pseudonyme de Michel Gand, une version X de ce film, destinée à l'exportation, délicatement appelée "Suce-moi Vampire". C'est donc ce double tournage (avec les mêmes acteurs d'ailleurs, quelle santé !) qui expliquent un certain nombre d'incohérences et d'ellipses évoquées plus haut.
Pour finir, ne nous privons pas du plaisir de contempler quelques plans-tableaux issus de Lèvres de Sang - enfin, c'est mon point de vue.
3 commentaires:
En effet, il s'agit ici d'un des classiques de l'oeuvre de Rollin, empreint de ce mélange de poésie, de naïveté et d'érotisme qui est le sien.
On retrouve ainsi la thématique des femmes vampires, les immanquables galets de la plage de Dieppe (à la question "quel est le sens de cette plage de galet qu'on peut admirer dans la plupart de vos films", Jean Rollin a répondu, lors de l'avant premier de son dernier film, que c'était parce qu'il trouvait ce lieu magnifique depuis son enfance), et certains de ses acteurs fétiches, Jean-Loup Philippe en tête.
Pour qui aime le cinéma de genre, dont Rollin est un des seuls faire-valoir francophone, ce film s'avère bien sympathique à regarder, malgré les incohérences dont vous faites états, ainsi que le jeu pas forcément très abouti de certains des acteurs.
Une autre chronique est disponible ici : http://blog.vampirisme.com/vampire/?199-rollin-jean-levres-de-sang-1975
vladkergan> merci pour ce commentaire érudit ! Tout à fait d'accord sur le mélange de poésie, de naïveté et d'érotisme qui imprègne ces films à nul autre pareil. De mon point de vue, l'omniprésence des vampires dans les films de Jean Rollin n'est pas une fin en soi. Elle est le faire-valoir d'une esthétique de cinéma hautement originale. Derrière les vampires, au-delà des maladresses (ou grâce à ?), je vois un vrai auteur angoissé qui s'exprime
(et bravo pour votre blog !)
Je cherche le film titré "suce moi vampire" (dont est directement tiré, en réalité, "Lèvres de Sang", délesté des scènes hard - contrairement à ce qui est affirmé dans le commentaire; Il n'y a pas eu double tournage !) très difficile à trouver.
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