J'ai entendu parler de Georges Franju en lisant une interview de Jean Rollin dans laquelle il déclare :
"Oui, en effet George Franju est le réalisateur qui m'a le plus influencé, c'est vrai. J'aurais donné beaucoup pour pouvoir faire un plan comme le dernier plan des YEUX SANS VISAGE, j'aurais donné dix ans de ma vie pour le faire."
Voilà qui m'a mis la puce à l'oreille ... D'autre part, j'avais remarqué qu'une salle de projection de la Cinémathèque Française porte le nom de Georges Franju : il est en effet le co-fondateur avec Henri Langlois de cette vénérable institution.Je tenais donc deux bonnes raisons de me procurer et visionner Les Yeux Sans Visage. Je n'ai été aucunement déçu. Vous vous êtes sûrement déjà demandé si il existait un film d'horreur français qui date des années 50 ? Eh bien la réponse est oui ! Et il se trouve que ce film n'est pas uniquement une curiosité mais un véritable chef-d'œuvre.
Pitch : l'histoire est assez simple. Le chirurgien Gennessier (Pierre Brasseur) est responsable d'un accident de voiture qui a défiguré sa fille Christine (Edith Scob). Celle-ci est obligée de porter un masque blanc et, sans visage, elle erre comme une âme en peine dans l'immense château de son père. Avec l'aide de son assistante Louise (Alida Valli), le docteur/savant fou décide donc d'enlever et assassiner des jeunes filles qui ressemblent à Christiane (jeunes, blondes, yeux clairs) dans le but de sauver sa fille. Dans son bloc opératoire caché en son château, il se lance dans des opérations chirurgicales bien gore pour prélever sur ses victimes des éléments de visage qu'il va ensuite greffer sur le visage de sa pauvre fille Christiane. Naturellement, entre greffes ratées, inspecteurs suspicieux et remords tardifs de Christiane, tout ne va pas se passer comme prévu ...
Notre ami Jean Rollin a bien raison, Les Yeux sans Visage est un film d'une beauté éblouissante. Dans des décors épurés et souvent majestueux, Franju emploie un noir et blanc glacial dont les lignes de séparation sont aussi tranchantes que le scalpel de notre bon docteur. Le film est fidèle à son titre : que ce soit Christiane avec son masque, une jeune victime avec ses bandelettes ou Gennessier avec son masque de chirurgien, le visage des protagonistes est souvent caché et ceux-ci ne s'expriment que par des regards hallucinés. L'expressionnisme n'est jamais loin. Le surréalisme non plus. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai été ébloui par les plans de ce film : la composition, la lumière et les mouvements de caméra atteignent la perfection plastique. Les plus inoubliables de ces plans sont pour moi les séquences montrant Christiane, masquée, en plein crise d'identité (et pour cause !), succombant tour à tour au désespoir et au remords.
Si vous avez vu Face/Off (Volte Face, avec Nicolas Cage & John Travolta), vous serez frappé par les analogies entre le film de John Woo et Les Yeux Sans Visage. D'une part, Georges Franju paraissait lui aussi fasciné par les colombes blanches qui apparaissent dans nombre de ses films (ainsi que dans Le Frisson des Vampires de mon copain Rollin !). Mais surtout : vous souvenez-vous de ce passage de Face/Off où les deux visages de nos héros sont découpés au scalpel et interchangés ? Eh bien, cette scène est presque une copie plan pour plan du film de Franju ! Il faudrait que je remette la main sur Face/Off pour faire une étude comparative poussée.
En attendant, en dehors de l'idée qui est exactement la même, Les Yeux Sans Visage présente le même enchaînement de plans que l'on retrouvera 40 ans plus tard dans le film de John Woo : le contour du visage dessiné au crayon, le découpage au scalpel, la goutte de sang qui perle vite essuyée, l'arrachage du visage proprement dit, les bandelettes qui recouvrent toute la tête et surtout, surtout, les plans fugitifs et flous sur la tête rouge et défigurée sur laquelle on n'a pas encore remis de visage. L'analogie est stupéfiante (mais n'enlève rien à la qualité de Face/Off - un peu à son originalité peut-être). Au passage, cette scène de découpe de visage est incroyablement gore, sanglante, explicite et je me demande comme elle avait pu passer entre les mailles de la censure en 1959 ! J'ai lu qu'à l'époque de nombreux spectateurs s'étaient évanouis !
Étape 3 : l'arrachage sauvage du visage. C'est à ce moment-là qu'une partie de l'assistance se porte mal (et en particulier ma voisine de TGV d'hier soir)
Enfin, contrairement aux films du camarade Rollin, ce festival esthétique ne se fait au détriment ni de l'histoire ni des acteurs. Le scénario, écrit par le duo Boileau - Narcejac (responsables des Diaboliques de Clouzot et de Vertigo d'Hitchcock), est sans aucune faille, rendant le film aussi passionnant qu'un roman policier. Pierre Brasseur fait habilement cohabiter humanité et démence dans son personnage de démiurge désespéré. Quant à Edith Scob, habillée par Givenchy pendant tout le film, et bien qu'on ne voit pratiquement que ses yeux, elle est bouleversante de féminité et de mystère (mais n'est-ce pas redondant ?)
Conclusion lapidaire : Les Yeux Sans Visage c'est comme un film de Jean Rollin, en cent fois mieux.
Pour info, Les Yeux sans Visage est considéré comme un des films fondateurs du cinéma d'horreur et d'épouvante. Les cinéastes influencés par cette œuvre sont légion : John Woo et Jean Rollin bien sûr mais aussi Jess Franco (son Dr Orlof est le petit cousin de Gennessier), John Carpenter et David Cronenberg. La liste est sans doute beaucoup plus longue mais je n'ai encore qu'une connaissance limitée de ce genre que je qualifierais de "cinéma de l'étrange" et qui me séduit de plus en plus (avec les comédies romantiques bien sûr).
J'ai noté l'apparition d'un tout jeune Claude Brasseur, dans un petit rôle d'inspecteur pas très dégourdi
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