Sommaren med Monika

mercredi 8 avril 2009

Un été avec Monika
Ingmar Bergman, Suède, 1953


J'ai un peu de mal à écrire ces jours-ci alors je regroupe les films que j'ai vus par thème. Ce billet est le premier d'une série de trois films, que j'ai tous beaucoup aimés, et qui sont, chacun dans leur genre, de très beaux portraits de femme. Femmes de tête, femmes libres, femmes vivantes et femmes belles bien sûr - qui donnent leur nom à ces excellents films.

J'étais fâché avec Bergman depuis mes tentatives avortées de regarder Le Septième Sceau, que j'avais trouvé ennuyeux comme la pluie. Me voilà réconcilié avec le maître suédois grâce au superbe Sommaren med Monika, qui raconte une histoire des plus simples : un garçon et une fille se rencontrent, ils s'aiment et ils partent ensemble vivre leur histoire d'amour. La partie centrale du film décrit l'escapade estivale de nos deux tourtereaux, coupés du monde à bord de leur petit bateau qui sillonne les archipels déserts au large de Stockholm.

Sommaren med Monika raconte de manière très juste une double insouciance : l'insouciance des vacances, qui autorise les chemins de traverse et les belles échappées (un peu à la Rozier), et l'insouciance d'une histoire d'amour qui débute, qui en est au stade de la passion fusionnelle, où l'avenir et le reste du monde ne comptent pas. Évidemment, dans la dernière partie du film, nos deux héros sont rattrapés par la réalité et tout cela va se terminer en boucherie, comme dans la vraie vie. Mais, pendant un temps, ils sont jeunes, ils sont beaux, ils y croient et on a envie d'y croire avec eux, tellement cette histoire est bien racontée et tellement les images et la photographie de ce film sont d'une magistrale beauté.

Mais le film est surtout inoubliable grâce à la présence d'Harriet Andersson qui illumine chaque plan dans lequel elle apparaît. Elle n'est pourtant pas parfaitement belle (les scènes où elle se promène avec une vilaine culotte ne sont pas très flatteuses) et elle est encore moins exemplaire dans son comportement : elle ment, s'énerve, fait des caprices, se dérobe devant ses responsabilités etc. Mais, avant tout, elle nous jette à la figure une incroyable envie de vivre, qui s'exprime parfois avec rage, parfois avec une irrésistible douceur féminine.

Un regard-caméra de ouf
Cette vitalité atteint son paroxysme lors d'une scène tellement belle et tellement stupéfiante que j'en suis presque tombé de mon canapé. Assise dans un café avec un de ses amants, Monika s'allume une cigarette et tourne doucement la tête pour regarder le spectateur droit dans les yeux. Je crois avoir lu que c'est l'un des tous premiers regards-caméra de l'histoire du cinéma. Exacerbé par un jeu de lumière grandiose, ce regard, incroyablement lourd de sens, ensorcèle le spectateur et le met même dans une position intenable : Monika s'adresse au voyeur que chacun de nous est et semble lui reprocher le jugement que nous pourrions émettre sur son comportement adultère.

Voici, ci-dessous, la scène en question. Notez, à partir de 50 secondes, à quel point le noir qui se fait derrière Monika et la musique qui s'étouffe nous jettent littéralement dans les yeux terriblement expressifs de Harriet Andersson.


Jean-Luc Godard parle de cette scène bien mieux que je ne pourrais le faire :
Il faut avoir vu Monika rien que pour ces extraordinaires minutes où Harriet Andersson, avant de recoucher avec un type qu'elle avait plaqué, regarde fixement la caméra, ses yeux rieurs embués de désarroi, prenant le spectateur à témoin du mépris qu'elle a d'elle-même d'opter involontairement pour l'enfer contre le ciel. C'est le plan le plus triste de l'histoire du cinéma.
Jean-Luc Godard, Arts n° 680 (trouvé dans ce passionnant dossier consacré au film)

"Prendre le spectateur à témoin" : c'est exactement ce que j'ai ressenti en voyant ce regard poignant. Cette scène s'apparente d'ailleurs beaucoup au regard-caméra d'Yveline Céry qui m'avait tant marqué dans Adieu Philippine - et au sujet duquel j'avais déjà cité ce bon vieux JL Godard (aurais-je la même sensibilité cinématographique que cet énervant bonhomme ?).

On peut également noter qu'en raison d'une scène où Harriet Andersson apparaît entièrement dénudée (de dos cf. photo ci-contre) avant d'aller se baigner, Sommaren med Monika a fait un mini-scandale à l'époque (1953) au point d'être interdit au moins de 16 ans en France. Je crois que c'est un peu ce film qui a lancé le mythe d'une liberté sexuelle excessive chez nos amis suédois - mythe qui perdure jusqu'à aujourd'hui et qui est parait-il très exagéré.

En 1956, en mal de sensationnalisme bidon, un distributeur américain a même sorti le film aux Etats-Unis, dans une version raccourcie mettant l'emphase sur les scènes dénudées, sous le nom de Monika, Story of a Bad Girl. Pfff... n'importe quoi. Monika est tout sauf a bad girl, mais plutôt a lively girl, a real girl ou a girl tout simplement. Même 50 ans plus tard, un tel cynisme me laisse pantois.

Mais oublions ces péripéties. Vu de nos jours, hors de tout contexte, Sommaren med Monika est tout simplement très beau et très poignant : un de ces films où l'émotion monte progressivement, où, sans qu'on s'en rende compte, on finit par être indéfectiblement attaché aux personnages au point qu'on a la gorge serrée lorsque le générique de fin arrive et qu'on ne peut qu'applaudir des deux mains.

Le temps de l'amour pur, entier et possiblement éternel
Monika revenue à l'état sauvage

Extraordinaire éclairage sur Monika
Extraordinaire éclairage sur Harry

Je ne me lasse décidément pas de ce regard-caméra. Inoubliable.


Mise à jour: j'ai rajouté un index des films commentés sur ce site, par réalisateur, avec un lien tout en haut de la colonne de gauche.

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