(très mauvais titre français. Était-ce si compliqué de l'appeler Le Chasseur de Daim ?)
Michael Cimino, 1979
Pitch : le film raconte l'histoire de trois amis, sidérurgistes de leur métier, passionnés de chasse, qui quittent leur cité industrielle de l'Ohio pour aller se battre au Vietnam. Nous sont présentés Mike (Robert de Niro), le taciturne décidé, Nick (Christopher Walken), le grand blond au regard perdu et Steeve (John Savage) qui se marie deux jours avant le départ pour le front. Ce long film est divisé en trois parties : une heure avant le Vietnam, principalement centrée sur le mariage de Steeve et la partie de chasse qui s'en suit, une heure dans l'enfer des rizières et une dernière heure qui traite du retour (ou non) des trois héros dans leur sombre ville sidérurgique.
The Deer Hunter est placé très haut dans le panthéon du 7ème art par de nombreux cinéphiles. J'en fais partie. J'ai vu ce film pour la première fois à l'âge de 17 ans et je me souviens d'avoir été bouleversé, et pas uniquement choqué, par la force qui émane de ce chef d'œuvre. Je l'ai revu hier, sur la bonne vieille TV hertzienne, pour la 4ème ou 5ème fois et j'ai encore été subjugué malgré l'atroce VF que nous a infligée Arte. Allez quoi, messieurs d'Arte, mettez un peu de VO dans votre vin ! Essayez de conserver la faible audience que vous avez en n'amputant pas les films ainsi, s'il vous plaît !
Si vous, vous n'avez pas vu The Deer Hunter, arrêtez tout de suite de lire ce billet, courez chez votre loueur de DVD, coupez la lumière, regardez-le au moins une fois (en VO !) et reprenez cette lecture. Si vous ne deviez voir qu'un film de Cimino, qu'un film avec Christopher Walken, qu'un film de guerre, c'est celui-là. The Deer Hunter, c'est un peu l'équivalent cinématographique de Crime et Châtiment : on y retrouve la même force biblique et la même vitalité dans l'adversité.
Mais bon, trêve de verbiages et de généralités. Essayons d'analyser précisément au moins une des raisons qui font de ce film une œuvre tellement à part. Le problème est que tant de choses ont déjà été dites sur The Deer Hunter que j'aurais du mal à apporter un éclairage original. Toutefois, j'ai l'impression que les gens ont tendance à citer la partie "vietnamienne" du film comme la plus marquante - et en particulier cette scène hallucinante de roulette russe. Je ne ressens pas la même chose. En résumant mon propos, je dirais que la première partie est bouleversante de vitalité, la deuxième bouleversante de violence et la troisième bouleversante de tristesse (je ne suis pas très content de ce dernier terme : je voudrais dire 'bouleversante de poignitude' mais je ne suis pas sûr que ça existe, sauf peut-être pour Ségolène Royal. Disons que la troisième partie est bouleversante parce que très poignante. Voilà). Et donc bref, ma vision d'hier m'a définitivement convaincu que ma partie préférée est la première.
Les working class heroes : John Cazale, Chuck Aspegren, Robert de Niro, John Savage, Christopher Walken
Que se passe-t-il pendant cette première heure ? Eh bien, les personnages nous sont présentés, ils boivent, ils vont à un mariage, ils chassent et c'est à peu près tout. La scène du mariage est particulièrement étalée. Elle doit bien durer 30 minutes, ce qui est bien long, mais, encore une fois, elle est hallucinante de vitalité et d'émotion. Peut-être cette émotion est-elle renforcée car le spectateur sait que c'est un film de guerre, qu'à un moment ou un autre, cette fête va s'arrêter et qu'ils vont devoir affronter l'enfer vert. En fait oui c'est ça qui est très fort : ces trois types qui font les fous à ce mariage savent qu'ils vont partir 2 jours plus tard et veulent en profiter un maximum avant.
Sans aucune lourdeur, Michael Cimino fait ressentir à son spectateur la même chose que ses héros et fait durer cette dernière nuit autant qu'il peut. Et quand le mariage se termine et que le jour se lève, eh bien non ! on ne va pas aller se coucher, on va partir en voiture, chasser le daim et ce n'est qu'à l'ultime minute que la donne change : ils se retrouvent une dernière fois au bar, ils rigolent, chantent, s'aspergent avec leur 147e bière de la soirée et puis, d'un coup, le pianiste joue une nocturne de Chopin, et là tout s'arrête, le silence se fait. Un long travelling silencieux balaie les visages saouls, inquiets, enfantins, de nos attachants amis et on lit dans leur regard qu'ils ont compris que la fête était finie et qu'ils allaient maintenant devoir devenir des hommes. Par un subtil fondu sonore enchaîné, Chopin est remplacé par le bruit des hélicoptères et nous voilà plongé sans transition dans l'horreur de la guerre. Quelle scène !
Voici la très jolie nocturne de Chopin en question
Chopin - Nocture No.6 in G minor, op.15-3
Mais revenons au mariage. Ce que je trouve remarquable dans cette séquence, c'est que les personnages existent. Tous. On y croit, on est avec eux. Le plus incroyable de tous est pour moi Christopher Walken. J'ai du mal à trouver les mots pour expliquer pourquoi ce type est aussi fascinant. Avec son smoking et sa chapka sur la tête, il a une classe folle. En fait, il a un regard qui a toujours l'air au bord de la folie, prêt à basculer, mais ce regard dément est contredit par un sourire tellement avenant qu'on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Il est grand, fin et a une démarche assez étonnante, un peu dégingandé, un peu efféminé. Il a toujours l'air détaché, y compris de lui-même : on aurait presque l'impression que son esprit est en dehors de son corps. Et paradoxalement, il est habité et a une présence inouïe. Il n'a pas volé son Oscar pour ce rôle. On ne voit que lui, même dans les plans où il apparaît avec Robert de Niro qui est pourtant pour moi un acteur incroyablement 'crève-l'écran'.
Christopher Walken est diamétralement à l'opposé de ... euh ... Orlando Bloom par exemple. Ci-contre. Quand vous voyez une scène avec Orlando Bloom (ou Ben Affleck, ou Vincent Perez ... la liste est longue), vous voyez un acteur qui fait partie du paysage. Orlando Bloom, on a du le mal à le distinguer du décor qui est derrière lui. Hein ? Où ça un personnage ? Ah oui, je crois distinguer un visage... Quand vous voyez une scène avec Orlando Bloom, vous voyez aussi la télé qui est autour, vous imaginez la caméra à laquelle il s'adresse, vous voyez presque la maquilleuse qui vient de lui retoucher le visage, vous voyez ses yeux qui lisent un prompteur, vous pensez à la facture de gaz que vous avez oublié de payer et qui traîne sur la télé, vous regardez par la fenêtre et vous vous dîtes qu'il serait peut-être temps d'arrêter de regarder ce navet et d'aller dans la vraie vie dehors.
Christopher Walken ne fait pas cet effet-là, pas à moi en tous cas. Il crève littéralement l'écran, il sort de la télé ou de l'écran de cinéma et est à mes côtés. Hier, je le voyais debout dans mon salon, esquisser ses petits pas de danse et embrasser Meryl Streep. Il dégage une réalité qui m'atteint profondément. Il est vivant et cette vitalité est communicative. Je trouve qu'on se sent vivre lorsqu'on voit de telles scènes.
Les débats sur le cinéma tournent parfois autour de la question suivante : un bon film est-il un film qui nous distrait ou qui nous fait réfléchir ? Le cinéma doit-il éduquer ou amuser ? Peut-il arriver à remplir ces deux rôles en même temps ? Je ne me pose pas la question en ces termes. Pour moi, un bon film est un film qui me fait vivre, qui me donne l'impression d'exister. The Deer Hunter est assurément un de ces films.
Et pour terminer sur une note musicale (et un peu moins sentencieuse), c'est The Deer Hunter qui m'a fait adorer Can't Take My Eyes Off You. Avant le mariage, ils sont tous au bar, picolent, jouent au billard, ce titre passe à la radio et on les voit petit à petit gagnés par la charge émotionnelle de cette chanson et se mettre à chanter à tue-tête "I love you, baby / And if it's quite alright / I need you, baby / To warm a lonely night". Encore une scène superbe, premier degré, vivante. Je mets ici la version originale, de Frankie Valli & The Four Seasons.
Frankie Valli & The Four Seasons - Can't Take My Eyes Off You
Il va tellement prendre goût à la roulette russe qu'il va en faire son métier. Ce regard ! Cette présence !
4 commentaires:
Tout à fait! Exactement! en particulier sur Christopher Walken que je dessine partout depuis que The deer hunter est passé sur Arte!
J'adore ta description de son mélange de recul et d'investissement total, c'est exactement ce que j'ai remarqué chez la plupart des gens qui me fascinent. Et comme malgré moi j'essaye de comprendre ce qui me ravit (dans les deux sens de ce dernier terme, frima-t-elle), pour me débarasser de leur influence peut-être, je tente d'analyser ce qui me charme: ce mélange de distance et d'humanité (cette façon d'être incarné) c'est peut-être le signe d'une grande conscience, conscience de soi, des autres et du monde? plus on est conscient, plus on est soi, et plus on est conscient, plus on a cette distanciation.
Et je suis tout à fait d'accord aussi sur le fait de ne pas tomber dans les problématiques "divertissement ou message?" ce qui est important c'est bien de trouver quelque chose de vivant, quelqu'un qui ne soit pas "vide" en dernier recours, quelque chose qui dépasse les considérations (vraies et fondées) qu'on peut avoir en période dépressive sur la relativité de toute chose et la vacuité/absurdité de l'existence. Bon j'arrête cet espèce de bavardage inepte et pompeux. Mais je suis d'accord! S'il te plaît, d'autres billets avec Christopher Walken!
Merci anonyme lectrice pour ce commentaire pas du tout inepte ni pompeux ! Je suis content de voir que je ne suis pas le seul à être fasciné par le côté désincarné/habité de Christopher Walken. Et effectivement, ce qui est important, c'est d'être mis en face de films qui nous font exister, que ce soit un film d'épouvante ou une comédie romantique mielleuse (mes deux "genres" préférés).
Mais ok, je vais essayer de faire d'autres billets sur Christopher Walken. Le problème est que j'ai l'impression qu'il n'a pas fait tant de bons films que ça. Je l'avais également adoré dans l'incroyable King of New York et dans Nos Funérailles (tous les 2 de Abel Ferrara). Je ne les ai pas vus depuis un certain temps donc il faudrait que je remette la main dessus avant de pouvoir en parler. En dehors de ça, quels sont ses autres films marquants ? Certainement pas Pulp Fiction. Dead Zone peut-être ... Bon, à explorer en tous cas
Si tu as des dessins de lui, je suis preneur !
J'ai vraiment adorée " Voyage au bout de l'enfer " (on se demande en effet pourquoi c'est une traduction si éloignée du titre original) Je crois que le passage qui m'a le plus marqué est celui où Mike revient chercher Nicky
(C. Walken ) celui-ci n'est plus lui même, il ne reconnait pas son meilleur ami . Et quand il se retrouve pour la seconde fois devant mike à jouer à la roulette russe, voilà que quelque chose "s'allume" dans son regard qui parait soudain plus humain. Je trouve que la performence de Walken est à noter dans cette scène et dans l'intégralité du film. Il a largement mérité l'Oscar du meilleur second rôle qu'il a obtenu pour ce film...
C'est de nouveau Anonyme n°1. Oui, j'ai l'impression qu'il s'est un peu galvaudé après... Il aurait jamais dû être américain, ça pompe la subtilité on dirait! Il y a encore Roseland où il m'a l'air charmant mais après ça verse un peu dans le caricatural voire grotesque non? Je connais peu de ses films (mais je remédie petit à petit à cette carence, bien qu'actuellement dépassée par une somme de travail invraisemblable): il a un petit rôle dans Annie Hall; puisque tu as l'air de bien aimer les vampires, il joue dans The Addiction de Ferrara; sinon il est aussi dans Sleepy Hollow mais y perd vite sa tête je crois. Il y a effectivement King of New York grâce auquel je sais dire métro en anglais (subway) et Dead Zone (prometteur? j'essaierai de le voir). Rien de vraiment "marquant" je crains, mais encore une fois je n'y connais pas grand-chose.
A part ça, si tu t'ennuies et que tu ne les as pas vus (on ne sait jamais), je me disais que parmi les films qui "font exister", Arizona dream et Dancer in the dark sont en tête de ma liste!
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