Pitch : Leonard (Joaquin Phoenix) se remet mal de sa rupture avec son ex-fiancée et retourne habiter à Brooklyn chez ses parents, juifs polonais. Un peu rêveur, plutôt dépressif et très maladroit, Leonard essaie de reconstruire sa vie et prend un petit travail dans le magasin de son père. Pour le meilleur et pour le pire, sa vie va se pimenter lorsqu'il va faire la rencontre de deux filles. Ses parents lui présentent tout d'abord Sandra, une fille de leurs amis, juive également, et interprétée par la belle Vinessa Shaw. Gentille, douce, aimante, elle paraît être le perfect match. Mais, pour son malheur, Leonard va également se lier avec sa voisine Michelle (Gwyneth Paltrow). Belle, lunatique, plus grande que lui, Michelle est l'archétype de la fille paumée dont il est si facile de tomber amoureux et si difficile de se rendre compte qu'elle est aussi destructrice pour les autres qu'elle l'est pour elle-même.
Le film va donc traiter de l'hésitation de Leonard entre Michelle et Sandra, entre la blonde et la brune, entre le cœur et la raison, entre ce qu'il est et ce qu'il devrait être, bref, entre Racine et Corneille.
Pour moi qui suis de plus en plus attaché à l'image, j'ai tout d'abord été séduit par la beauté de Two Lovers : la photographie et la composition sont remarquables. Je pense particulièrement à ce plan où Joaquin Phoenix attend, au restaurant, assis seul au milieu d'une banquette en demi-cercle. La parfaite symétrie du cadre luxueux au milieu duquel Joaquin Phoenix est assis de travers illustre l'inadéquation entre ce personnage et le monde (enfin, ce monde : celui du luxe et de la superficialité). De manière plus générale, j'ai été frappé par la réalité physique du film : les images ont beau être superbes, elles ne sont pas enjolivées. Joaquin Phoenix porte pendant tout le film un anorak vert bien pourri qui paraît avoir vraiment 10 ans d'âge. Dans cet esprit "j'ancre le film dans la réalité", cet anorak me fait d'ailleurs penser au bonnet de Jim Carey dans Eternal Sushine of the Spotless Mind.
De la même manière, Gwyneth Platrow nous est montrée sans fard ni maquillage. Dès les premiers plans où elle apparaît, on voit les défauts de sa peau, ses rides et ses cernes. James Gray nous signale ainsi tout de suite que Two Lovers n'est pas une comédie romantique proprette, mais pas non plus un documentaire : nous sommes ici en face d'un film qui suinte le réel, avec ce que le réel a de beau comme de dégueulasse.
Pour rester dans cette idée de réalisme, j'ai été frappé par la scène qui se déroule en boîte de nuit. Les scènes de soirées au cinéma sont pour moi ratées 90% du temps : les personnages sont toujours sobres, ou alors complètement raides mais jamais entre les deux, l'éclairage toujours trop fort et le volume de la musique toujours trop bas. On voit souvent les protagonistes se parler comme s'ils étaient à la garden-party de l'Elysée, en faisant des belles phrases à un mètre l'un de l'autre. Quiconque a déjà mis le pied en boîte sait que ça ne se passe pas du tout comme ça. Là, dans Tow Lovers, James Gray a su formidablement rendre l'atmosphère particulière d'un tel endroit : réactions exacerbées (genre je suis euphorique et puis écoeuré au dernier degré la seconde d'après parce que je sens que cette fille m'échappe), vue hachée à cause de la lumière stroboscopique, dialogues se réduisant à des "quoi ?", "ok !" ou "j'vais chercher à boire dis-je !". J'avais d'ailleurs particulièrement apprécié les scènes de boîte dans l'excellent La Nuit nous appartient, le précédent film de James Gray.
Et l'histoire alors ? Eh bien, elle est remarquablement construite, sans surprise de la part de James Gray dirais-je, mais elle est aussi un peu déprimante. Si on se place du point de vue de Leonard (ce que j'ai fait), la première moitié du film est enthousiasmante car elle est porteuse d'espoir et de possibilités nouvelles. En revanche, la deuxième partie est synonyme de confrontation avec la dure réalité et de prises de décisions. La relation de Leonard avec la blonde Michelle tourne au vinaigre. De scène en scène, nous découvrons que cette fille est excessive en tout, souvent droguée, toujours fauchée, incapable de s'aimer. Aux déclarations enflammées de Leonard, elle répond "Tu ne m'aimerais pas si tu me connaissais". Lui s'accroche, persuadé d'avoir vu en elle quelqu'un de bien. Elle répond à peine à ses messages. Ce schéma archi-classique va jusqu'à la rupture : après avoir causé beaucoup de dégâts chez ce pauvre Leonard, Michelle retourne en fin de compte avec son ex et part habiter à l'autre bout des États-Unis. Fragilisé, écœuré, déçu, Leonard revient alors vers Sandra, la fille "comme il faut", de son milieu, recommandée par ses parents.
Happy end ? Pas vraiment selon moi. Two Lovers est du marivaudage à plus d'un titre. En effet, au-delà des jeux amoureux mettant en scène un garçon et deux filles, ce film se termine comme une pièce de Marivaux : à la fin, malgré les passions, chacun reste dans son milieu. Les maîtres avec les maîtres, les valets avec les valets. Dans Two Lovers, il n'y a plus de hiérarchie dans les classes mais le concept reste le même. Concept bien déprimant qui m'a laissé un goût amer en sortant de la salle, malgré toute la beauté du film.
La toujours très chic Isabella Rossellini, ici dans le rôle de la mère de Joaquin Phoenix. Et je crois que j'ai oublié de mentionner que tout le casting est superbe dans ce film.
2 commentaires:
Je suis tout à fait d’accord concernant la remarque sur les scènes de boîtes de nuit ! Celle de Two Lovers est juste à tomber par terre, je garde un très bon souvenir d’une scène du même type dans Babel d’Inarritu : on y voit une jeune fille sourde qui suit un jeune homme& sa bande dans une boîte japonaise, et l’effet stroboscopique est par exemple très bien rendu^^. Mais tout le talent du réalisateur réside dans le montage visuel et sonore de la scène qui dit à la fois l’euphorie et l’angoisse, le vertige collectif et l’isolement du personnage … c’est magique. D’autres scènes phares du même type en mémoire ?
Marion > Oui j'ai vu Babel et cette scène m'avait également marqué - bien que je n'avais pas franchement aimé le film dans son ensemble, trop lourd, trop appuyé, trop de pathos.
Et je suis bien d'accord sur l'idée de vertige collectif mêlé à l'isolement individuel. Les boîtes de nuit sont pour moi des endroits assez intéressants. Tout le monde fait semblant de s'amuser, de prendre du bon temps et d'être à la cool. En réalité, derrière cette fausse décontraction, ce sont des lieux impitoyables où les jeux ne sont pas du tout innocents, où la compétition est féroce, où l'on est jugé sur un simple coup d'oeil. Rentrer sur la piste de danse, c'est comme monter sur un ring. Ce n'est donc pas très étonnant qu'on boive souvent beaucoup en boîte.
D'autres scènes de boîte réussies ? Hum ... comme ça, je ne vois pas trop justement. Je pourrais répondre par le contraire : les scènes de boîte dans Pédale Douce sont sans doute les plus nulles de tout les temps. Elles sont complètement ratées dans les films de Rohmer aussi (Conte d'été, Pauline à la Plage). Dans Trainspotting, c'est bien faible aussi. Euh euh ... je vais chercher.
Ah si ... dans Adieu Philippine (de Jacques Rozier), que j'ai vu récemment, il y a une scène de boîte en extérieure qui est certes complètement irréaliste mais très marquante. Je pense notamment à ces plans en caméra subjective sur Liliane (Yveline Céry), que tu verras à partir de 3'30 dans la vidéo ci-dessous
http://www.youtube.com/watch?v=euQU2IorXUg
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